jeudi 5 mai 2011

LE SURVIVANT - 5 mai 2014

Je dors mais je ne rêve plus. Le temps a toujours été une donnée relative et à mes yeux, il ne s'écoule plus de la même façon que par le passé. Les jours et les nuits se ressemblent, interminables, grises. Mon jugement se brouille. Les fantômes pourrissant des mes amis morts ne me quittent plus désormais. Sans cesse, ils me parlent, me sourient. Je n'ai pas la force de les fuir. 
Mon corps s'affine, s'aiguise. J'ai perdu 9 kg et ça n'est pas près de s'arrêter. Le docteur Denoy m'a conseillé de manger un peu plus, et mieux. Il m'a lancé de grands regards tristes auxquels je n'ai pas répondu. Il m'a parlé mais je ne lui ai pas répondu. Je ne réponds plus à personne. Je ne parle plus aux vivants. J'ai compris qu'il est bien plus facile de converser avec les morts. Avec eux, pas besoin d'ouvrir la bouche. Dans un mois, si je continue comme ça, je crois bien que j'oublierais jusqu'au son de ma voix.

Le potager s'étend et monopolise les efforts de tous. Je me suis joint aux travaux. Comme une bête de somme. Coups de bêches après coups de bêches. Le travail avance bien, et vite. Le moral du camp semble remonter, mais je peux me tromper. Les murmures sont toujours plus nombreux que les rires. 

Les époux Ballantini ne se lassent pas de promener leur bébé, leur beau bébé que chacun s'arrête pour contempler. Les bébés sont plein de promesses. Qui dit promesses, dit espoir. C'est un peu comme si les Ballantini étaient les seuls à être équipés d'une torche électrique dans un labyrinthe souterrain, plongé dans des ténèbres profondes. Tout le monde les suit, mais ça n'est pas pour autant qu'ils savent où se trouve la sortie.

L'attitude des militaires est différente. Ils ne fraternisent plus avec les civils. Ils gardent leurs distances; comme si on était contagieux. Sur ordre de Verney. Il mène ses troupes comme un petit empereur boiteux. J'observe son petit manège. Il partage ses journées entre des inspections surprises et de longues heures enfermé dans le bureau qui fut celui de Thibault à écrire et à préparer je ne sais trop quoi. 

En milieu d'après-midi, trois soldats ont brièvement quitté le camp pour le périmètre extérieur, à pied. Ils en sont revenus une heure plus tard avec un invité inattendu. Un zombie. Une femelle. La créature était enchaînée au cou et ils la traînaient comme on traîne un chien désobéissant. Pour la rendre inoffensive, les soldats lui ont arraché la mâchoire, sans doute à coups de crosses. Un chien qui ne peut plus mordre. 

Ils ont enfermés le zombie dans l'une des cellules. J'ignore la raison qui pousse Verney a offrir le gîte et le couvert à un mort-vivant.  

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