mardi 31 mai 2011

LE SURVIVANT - 31 mai 2014 (épisode #67)

Un éclair a déchiré le ciel en pleine nuit. Le tonnerre a suivi, et la pluie s'abattant sur le monde et ma pauvre carcasse fatiguée. Je me suis relevé, titubant, ignorant encore combien d'heures me séparaient de l'aube et de la lumière. Le bruit du vent, de l'orage, hurlant dans mes oreilles réveilla en moi toutes mes terreurs nocturnes. Je crus voir des dizaines, des centaines, des milliers de paires d'yeux braquées sur moi. Il est des choses en ce monde bien pires que des morts qui marchent, des choses plus anciennes. Je le sais maintenant. Des spectres, des esprits, certains bienveillants, comme celui de ma regrettée Carole, mais d'autres ayant à cœur de faire souffrir les vivants et de les corrompre par la haine et la folie.
La haine et la folie. Nous avons tout cela en nous, moi y compris. C'est une bête en cage et il faut sans cesse lutter pour éviter que la bête n'arrache les barreaux qui la retiennent.

 Le village n'était pas si loin et j'ai forcé les portes d'une boulangerie pour m'abriter à l'intérieur. J'étais trempée, pitoyable. Je n'ai pas pu fermer les yeux, scrutant les ombres. Une aube grise a finie par se lever. La pluie s'est calmée. J'ai fait le tour de l'endroit pour chercher quelque chose à manger en vain. Il ne restait que quelques sodas. Je suis finalement sorti, motivé par la faim. J'ai fouillé dans certaines maisons du village pour trouver un repas. J'ai été récompensé par une conserve de carottes et de petits pois et des sardines. Cerise sur le gâteau de ce qu'il est permis de considérer comme un festin (dans de pareilles circonstances), j'ai pu me délecter de deux barres chocolatées à peine périmées d'une semaine. Il n'y a vraiment pas à dire, je suis un veinard.

Je me suis reposé. J'ai fait le point. J'ai repensé aux évènements de la veille. L'image des deux jumeaux plongeant dans le vide, couverts de sang, ne cesse de revenir. Leurs corps, emportés par la rivière souterraine sont sûrement déjà revenus à la vie. Une partie de moi-même est tentée de partir à leur recherche. Peu importe que Pierre soit un meurtrier, un cannibale ayant dévoré femmes et enfants. Il m'a sauvé la vie, tuant son propre frère pour cela. Il a tenu sa promesse faite à Carole et il a gagné le droit de reposer en paix. Il ne me reste que deux chargeurs, mais je lui dois bien une balle.

C'est sur mon chemin. Je peux bien faire le détour. Je vais donc suivre la rivière et si je retrouve Pierre, je l'achèverais. En fouillant consciencieusement les dernières maisons du village, j'ai trouvé d'autres conserves et une bouteille d'eau. J'ai aussi changé de vêtements, les autres étant déchirés un peu partout. Tâchés de sang aussi. Je me suis enfin remis en route, me hâtant pour rejoindre le prochain village avant la tombée de la nuit. J'ai contourné l'abime sur une quinzaine de kilomètres jusqu'à Trèves, rattrapant le cours de la rivière. Rien. Pas de corps. Pas de zombies.

Le soleil a percé les nuages avant que le jour ne s'achève. Dans un reflet sur l'eau, je suis persuadé d'avoir vu Carole. Elle continue de me suivre. Et de veiller sur moi.

LE CINEMA AMERICAIN DES ANNEES 80 #63 - LA MOUCHE

Réalisé par David Cronenberg - Sortie US le 15 août 1986 - Titre original : The Fly.
Scénario : Charles Edward Pogue, David Cronenberg, d'après la nouvelle de George Langelaan.
Musique : Howard Shore.
Directeur de la photographie : Mark Irwin.
Avec Jeff Goldblum (Seth Brundle), Geena Davis (Veronica Quaife), John Getz (Stathis Borans), ...
Durée : 95 mn.

Scientifique génial, Seth Brundle travaille sur la téléportation. Lors d'une soirée, il invite une journaliste, Veronica, à venir visiter son laboratoire pour une démonstration, ...


La fin d'une époque, et le début d'une autre. LA MOUCHE est un film capital dans la carrière du cinéaste canadien David Cronenberg. Il s'agit là de son dernier VRAI film d'horreur, le dernier opus d'une première partie de carrière dédiée à la série B, à l'horreur graphique et à la construction d'une thématique unique et cohérente. Fascinée par la puissance de la sexualité, la mutation des chairs, la maladie et ses influences sur la psyché humaine mais aussi amoureux de science-fiction, Cronenberg expose avec LA MOUCHE la totalité de ses obsessions de la manière la plus graphique et la plus explicite qui soit tout en conservant ses atours de grand film d'horreur de studio avec effets spéciaux spectaculaires et photographie stylisée à l'appui.


Produit par Mel Brooks (tout comme ELEPHANT MAN), LA MOUCHE version Cronenberg est la deuxième adaptation d'une nouvelle de science-fiction (jadis parue dans les pages de Playboy) qui avait déjà donné lieu à une trilogie de films d'horreurs avec Vincent Price des années 50/60. Avec très peu de personnages (trois) et très peu de décors (90 % du film se déroule dans le laboratoire de Seth Brundle), le cinéaste et scénariste dégraissent son histoire jusqu'à l'os. Il s'agit essentiellement d'une histoire d'amour confrontée à la tragédie de la maladie. Ce faisant, Cronenberg dresse le portrait tragique d'un homme de science face à la dégradation progressive de son corps mais aussi de son âme. Aidé par des maquillages réellement impressionnant et la performance d'acteur de Jeff Goldblum, LA MOUCHE décrit la souffrance de Seth Brundle étape par étape.
L'émotion surgie essentiellement à travers le regard de Veronica, interprétée avec une grande sensibilité par Geena Davis, alors la compagne de Jeff Goldblum. L'alchimie entre les deux acteurs est indéniable et l'amour dans leurs regards est d'une authenticité à toute épreuve. Les dernières minutes du métrage n'en sont que plus émouvantes, déchirantes même. C'est dans ces derniers instants que Cronenberg réussit l'exploit de nous faire ressentir jusqu'au plus profond de notre être le calvaire de son héros, réduit à un amas de chairs torturés et indéfinissables, mélange improbable entre l'homme, l'insecte et la machine. C'est dans ces dernières minutes également que David Cronenberg met le spectateur en face d'un immense tabou : l'euthanasie. Osé mais payant.


Aussi difficiles que soient les thèmes abordées par LA MOUCHE, Cronenberg n'oublie pas qu'il livre un film de studio, une commande. Il contente donc les fans d'horreur en se surpassant dans le gore et les images chocs. Pour qui admire le cinéaste depuis SCANNERS, CHROMOSOME 3 et VIDEODROME, on ne peut s'empêcher de considérer LA MOUCHE comme un feu d'artifice ou un véritable baroud d'honneur. La grandiloquence dans les effets est telles que la musique d'Howard Shore se fait opératique, grandiose, tonitruante. Le compositeur décuple encore un peu plus les dilemnes du personnages principal, reflétant la tempête dans son cœur et son esprit par de virtuoses envolées lyriques. 


Après LA MOUCHE et son énorme succès au box-office vint FAUX-SEMBLANTS, initiant ainsi le versant le moins commercial de la filmographie de David Cronenberg. Ayant finalement gagné son indépendance en même temps que le respect des critiques ET du public, il abandonna l'horreur pur au profit d'expérimentations passionnantes. LA MOUCHE est le film de sa mutation, à plus d'un titre.

lundi 30 mai 2011

LE SURVIVANT - 30 mai 2014 (épisode #66)

Je ne crois pas en Dieu.
Je ne crois pas en Satan, ou quelque soit le nom que l'on veut bien lui donner.

Mais je crois aux fantômes.

Pierre et "l'autre" sont morts. Précipités dans l'abîme. 95 mètres de chute libre. J'ai vu leurs corps fracassés contre les parois et engloutis par la rivière.
Ils étaient les deux faces d'une même pièce. Des frères jumeaux. Pierre et Matthieu. 

Je me suis réveillé avec une corde autour du cou, suspendu par un système de poulie à mi-chemin entre le vide et  une corniche, le contact de l'acier tranchant sur ma chair nue, une odeur de terre humide emplissant mes narines, le tumulte de la rivière souterraine et les sanglots de Pierre, recroquevillé contre la paroi rocheuse, la tête baissée comme un gamin qui vient de faire une très très grosse connerie. 

"Bonjour, mon joli. Je m'appelle Matthieu et voici mon frère, Pierre. Je suis sûr que tu as très bon goût." C'est ainsi que "l'autre" fit les présentations. 

Je ne me suis rendu compte de rien. Je me suis endormi sans même le savoir. Peut-être que Pierre avait drogué mon café, c'est l'hypothèse la plus probable. Mais comment en être sûr ? Matthieu, "l'autre", m'avait dépouillé de mes vêtements et les cordages me lacéraient les chairs. Je pouvais à peine bouger.
Pierre et Matthieu sont physiquement identiques. L'un n'apparaît pas plus grand ou plus fort ou plus sauvage que l'autre. Les différences sont subtiles. Le ton de la voix, la façon de bouger. Si je devais les comparer à des animaux, je dirais que Pierre est un serpent er Matthieu un alligator. 
"C'est un morceau de choix. C'est un morceau de choix. C'est un morceau de choix. Merci, mon frère." dit Matthieu en faisant danser la lame de son large couteau de chasse sur ma cuisse. Ainsi devait fonctionner leur petit duo : le rabatteur et le chasseur. 
"Arrêtes de pleurnicher, mon frère. Il est à nous. Comme les autres avant lui. Comme tous ceux qui traverseront notre réserve. Rien n'a changé. Rien ne changera jamais. Nous prenons soin de nous." dit-il encore à Pierre qui restait prostré. 
"Celui-ci, tu as mis du temps à me le livrer. Pourquoi ? Encore cette salope ? Elle n'existe pas !"
"Si. Elle existe. Elle ne veut pas qui lui arrive du mal. Tu dois le libérer." La voix de Pierre était faible, si faible. 
"La salope n'existe pas. ELLE ... N'EXISTE ... PAS !!!" 

Matthieu me fit alors une entaille sur le mollet et se mit à lécher la plaie, ricanant.

Il s'est alors passé quelque chose d'étrange. Quelque chose que je ne veux pas tenter d'expliquer. Se tenant debout derrière Pierre, s'approchant avec assurance, elle était bel et bien là. Carole. Par le spectre pourrissant venu me hanter il n'y pas si longtemps. Non. Carole, resplendissante, vivante. Elle posa sa main sur l'épaule de Pierre, se pencha et lui parla à l'oreille. Ce qu'elle lui dit me parvint : "Tu vas le laisser te parler comme ça ? Tu n'es pas comme lui. Tu as promis." Matthieu, lui, ne bougeait pas, fixant son frère, soudain pétrifié. Avec une souplesse et une rapidité inhumaine, Pierre s'est alors relevé et s'est jeté sur son frère, tirant sa propre lame du fourreau fixé à sa taille, la plongeant dans le ventre de son frère, encore et encore. Celui-ci ne s'est pas laissé faire, plantant son couteau dans la jambe de Pierre, sectionnant l'artère fémorale, avant de finir par s'écrouler à terre. Titubant, il s'approcha de la paroi et des cordages, défit un nœud et je m'écrasa lourdement sur le sol de pierre. Lorsque je me relevais, Carole n'était plus là. "J'ai tenu ma promesse." me dit Pierre dans un sourire, son visage de plus en plus pâle, le sang s'écoulant abondamment de sa plaie. Mais Matthieu n'était pas encore mort. Il se précipita vers moi. Pierre s'interposa et se jeta dans le vide, entraînant son frère jumeau avec lui, sans un cri. 
Je suis resté là un bon moment, à tenter de reprendre mon souffle, de retrouver mes esprits. Je ne sais pas combien de temps il s'est écoulé. Une heure ? Deux ? Une journée ? 
J'ai fini par me rhabiller et j'ai récupéré mes affaires; Je me suis relevé et j'ai pris le chemin en sens inverse pour sortir de l'abime, remontant vers la lumière. Je me suis retrouvé dans les sous-bois de la veille. Au soleil, il devait être à peu près midi. Je me suis remis en chemin, tant bien que mal, contournant l'abime et retournant vers le village. 
Puis, plus rien. Le néant, à nouveau.

Je me suis à nouveau réveillé, avec un mal de crâne horrible. Je me suis forcé à manger et à boire. Le village n'est pas loin, mais je dormirais ici cette nuit, contre un gros rocher. J'y verrais plus clair demain. 


LE CINEMA AMERICAIN DES ANNEES 80 #62 - ALIENS, LE RETOUR

Réalisé par James Cameron - Sortie US le 18 juillet 1986.
Scénario : James Cameron, d'après une histoire de James Cameron, David Giler et Walter Hill.
Musique : James Horner.
Directeur de la photographie : Adrian Biddle.
Avec Sigourney Weaver (Lt Ellen Ripley), Michael Biehn (Corporal Dwayne Hicks), Paul Reiser (Carter Burke), Carrie Henn (Newt), Bill Paxton (Private Hudson), Lance Henriksen (Bishop), Jenette Goldstein (Private Vasquez), William Hope (Lieutenant Gorman), Al Matthews (Sergeant Apone), ...
Durée : 137 mn.
Après avoir dérivé dans l'espace pendant 57 ans, le lieutenant Ripley, seule survivante du Nostromo dont l'équipage fut décimé par un organisme extra-terrestre, rencontre un mur d'incrédulité plus que suspect. Démise de ses fonctions par la compagnie Weyland-Yutani, traumatisée, elle tente de reprendre le cours de sa vie. Jusqu'au jour où elle apprend que la colonie établie sur LV4-26, la planète où ils récupérèrent l'extra-terrestre en question, ne donnent plus signe de vie, ...


Plutôt mécontent du traitement réservé à son scénario pour la suite de RAMBO, James Cameron en recycla l’idée centrale (confronter le héros – ici, l’héroïne – a son traumatisme pour qu’il puisse prendre sa revanche) pour ce deuxième volet de la franchise ALIEN. S’il n’abandonne pas totalement la combinaison suspense et horreur qui avait fait le succès du film de Ridley Scott en lui rendant ponctuellement hommage, Cameron emmène le lieutenant Ellen Ripley (Sigourney Weaver qui rempile, avec une nomination à l’oscar à la clé) et la magnifique créature baveuse de H.R. Giger vers de nouveaux horizons, ceux de la guerre ouverte et de l’action dévastatrice. 


Cinéaste ambitieux et perfectionniste, conteur né, James Cameron multiplie les enjeux. Plus de personnages, plus de monstres, plus d’intrigues. A la quête centrale de Ripley viennent se greffer sans heurts la mission de sauvetage puis la lutte pour la survie de marines coloniaux surarmés et forts en gueules, le complot de la compagnie pour récupérer l’alien et l’exploiter à des fins militaires et, surtout, la rencontre entre cette même Ripley et la petite Newt (Carrie Henn), orpheline débrouillarde. Entre ces deux âmes seules et meurtries va se développer une relation mère/fille fusionnelle et qui va même puissamment renforcer la thématique guerrière qui domine le métrage dans un dernier acte qu’illustre un conflit matriarcal d’ampleur mythologique. Lorsque les aliens lui enlèveront Newt pour la transformer en hôte (en mère porteuse), Ripley, atteinte dans ce qu’elle considère désormais comme sa propre chair, n’hésitera plus une seconde à prendre les armes pour aller la récupérer, causant au passage la fureur vengeresse d’une rivale inattendue : la reine-mère des monstres en personne ! Ce combat pour la garde d’une enfant sans défense (le mutisme courageux et fière de Newt dans la première partie du film cède alors la place à des cris de fillette terrorisée) prendra ainsi les allures d’un clash entre titans ( !) quand Ripley, pour se mettre au niveau de sa gigantesque rivale, s’engoncera dans une puissante armure robotisée pour engager un combat mano à mano.


Tout est question pour James Cameron de fluidité (les trois actes s’enchaînent parfaitement), d’équilibre (entre stéréotypes virils et finesse émotionnelle), de cohérence (la direction artistique est de tout premier ordre), et de maîtrise du rythme (crescendo, cela va de soi) et de la narration (linéaire pour un maximum d’efficacité). 


Mais un tel résultat ne s’est acquis que dans l’adversité. Méprisé par la majorité de son staff britannique qui ne supportait pas ses prétentions et ses méthodes exigeantes, James Cameron eut à livrer bataille pour imposer sa vision, allant jusqu’à remercier son premier chef opérateur, à endurer une grève du personnel technique, à changer l’un de ses interprètes principaux (James Remar fut remplacé par Michael Biehn dans le rôle du caporal Hicks) en cours de tournage et dut finalement raccourcir son montage d’un gros quart d’heure à la demande du studio. 



Fort de ses efforts de mise en scène spectaculaires, de son scénario brillant et de son casting charismatique, ALIENS, LE RETOUR récolta un succès public et critique à la hauteur de l’attente suscitée (il s’agit après tout de la suite d’un classique reconnu), sept nominations à l’oscar (il en gagna deux pour le mixage son et les effets visuels), et devint pour les studios l’un des modèles à suivre en matière de séquelles bigger, better and louder.

dimanche 29 mai 2011

LE SURVIVANT - 29 mai 2014 (épisode #65)

Le gîte était abandonné. Vide. Absolument vide. J'ai été obligé de dormir à même le sol. Une nuit longue et sans rêves ou cauchemars. J'ai senti des yeux posés sur moi.

Pierre. Encore Pierre. Face à moi au réveil. Une tasse de café bien chaude à ma disposition. Il était assis par terre, face à moi. Mais il ne souriait plus du tout. Son expression était celle d'un vieil homme accablé par un secret bien dégueulasse. Et là, tout d"un coup, il m'a parlé. 
"Je ne suis pas le seul" dit-il.
"Comment ça ... tu n'es pas le seul ?"
"Il y en a un autre."
"Un autre ? Comme toi ?"
"Non ... pas comme moi. Lui, il est pire. Il ne faut pas traîner. Il t'as vu et il te veut."

Après m'avoir laissé le temps de terminer ma tasse de café, Pierre m'a invité à le suivre à l'extérieur. Il était encore tôt. Dans le ciel, de gros nuages sombres se rassemblaient à l'est. La température, bien qu'agréable, semblait avoir baissé significativement.
Sur la porte d'entrée du gite, on avait tracé à la peinture verte un énorme triangle. La peinture était encore fraîche. Je me suis retourné vers Pierre avec un regard que j'imagine comme un mélange de haine, de peur et de suspicion. Double personnalité ? L'idée m'a brièvement effleurée. Mais à voir l'expression de Pierre, ses grandes mains blanches tremblantes, je me suis dit que non. Quelqu'un d'autre nous observait alors. Je l'ai senti. J'ai pensé à Spider-Man et son super sixième sens arachnéen et là j'ai commencé à comprendre ce que ce pauvre super-héros pouvait ressentir à longueur d'aventures. Je me doute bien que mon instinct est loin d'être aussi efficace que celui d'un mec mordu par une araignée radioactive. Mais croyez-moi, sentir un regard sans savoir d'où est-ce que ça peut bien venir, même dans un monde où les morts reviennent à la vie, y a de quoi vous coller les miquettes pour de bon.
"Faut pas traîner. Il a faim." s'est contenté de dire Pierre.

Il s'est mis en marche vers le sud sans plus attendre. Et je lui ai emboîté le pas, tout en gardant une bonne distance entre nous deux. Nous n'avons fait que deux pauses pour manger. Nous restions assis chacun de notre côté, à une dizaine de mètres l'un de l'autre. J'ai continué à manger mes boîtes de conserves. Pierre, lui, grignotait des lamelles de viande séchée. Quel type de viande ? Je ne lui ai pas posé la question, mais je doute que ce soit du bœuf ou du poulet. 

Au cours de cette longue marche, le regard de "l'autre" ne nous a pas quitté. Le ciel ne s'est pas dégagé, mais il n'a pas plu pour autant. 
Sur un arbre, sur un rocher, sur un panneau, nous avons croisé la marque verte à plusieurs reprises. Le parc national des Cévennes est toujours une réserve, mais d'un autre genre à présent. 

Nous avons doublé ma distance de la veille. Presque 50 kilomètres. Nous avons parcouru plus de la moitié du parc. Si nous gardons ce rythme demain, nous devrions pouvoir atteindre Ganges, une commune à la sortie des Cévennes. Mais pour le moment, notre étape se situe à Saint Sauveur de Camprieu, un petit village. Nous nous trouvons dans le Gard. Nous avons choisi de ne pas traverser le village. Ce soir, nous dormirons à la belle étoile. A l'abime de Bramabiau. C'est un étrange site naturel. mais balisé et aménagé pour le tourisme. Une rivière souterraine encaissée dans un massif de calcaire. On y accède par un sous-bois. Puis la descente est progressive et le bruit de la rivière emplit doucement l'espace sonore. Nous avons commencé à nous enfoncer loin de la lumière du crépuscule, mais c'est là que Pierre a décidé de se poser, alors que le chemin qui longe la rivière se rétrécit en paroi. Nous y passerons la nuit. 

Pierre a allumé un petit feu. Il jette des regards nerveux à droite et à gauche. 

"Cette personne qui me veut du mal, tu sais qui c'est ?" lui ai-je demandé.
"Oui. Je le connais."
"Et ?"
"Je ferais de mon mieux pour te protéger s'il vient."
"Pourquoi ? Tu me connais pas."
"Si. Je te connais bien maintenant. Tu ne m'as pas tué."
"Ce n'est pas parce que je t'ai pas tué que tu me connais. J'en ai toujours envie. T'es un monstre. J'ai toujours envie de te tuer pour ce que tu es."
"Mais tu le feras pas. Elle m'a parlé de toi. Et elle m'a fait promettre de te protéger."
"Qui est Elle ?"
"Une très belle femme. Elle aussi te suit."

J'ai demandé à Pierre de me servir un autre café. Je ne dormirai pas cette nuit. 

"Une très belle femme. Elle aussi te suit."




LE CINEMA AMERICAIN DES ANNEES 80 #61 - LES AVENTURES DE JACK BURTON DANS LES GRIFFES DU MANDARIN

Réalisé par John Carpenter - Sortie US le 2 juillet 1986 - Titre original : John Carpenter's Big Trouble In Little China.
Scénario : W.D. Richter, Gary Goldman et David Z. Weinstein.
Musique : John Carpenter & Alan Howarth.
Directeur de la photographie : Dean Cundey.
Avec Kurt Russell (Jack Burton), Dennis Dun (Wang Chi), Kim Catrall (Gracie Law), James Hong (Lo Pan), Victor Wong (Egg Shen), ...
Durée : 99 mn.
De passage à San Francisco, Jack Burton, un routier fort en gueule, accepte d'accompagner son vieil ami Wang Chi à l'aéroport pour accueillir sa fiancée, la belle Miao Yin. Mais celle-ci est enlevée sous leurs yeux par un gang de chinois à la solde du mystérieux David Lo Pan, un puissant sorcier âgé de plusieurs siècles, ...


Tout ce qu’il est nécessaire de retenir pour savourer sans retenue le neuvième film de Big John Carpenter peut se résumer ainsi : inversion des valeurs. Le concept est simple mais génial. Et drôle surtout. Le héros, Jack Burton (Kurt Russell, hilarant à force d’être à côté de ses pompes) se comporte comme l’acolyte, et l’acolyte, Wang Chi (Dennis Dun, énergique et charismatique à souhait), comme le héros. C’est pourquoi LES AVENTURES DE JACK BURTON … fut un bide sans appel à sa sortie pendant l’été 1986.


A l’origine, il y a un scénario de W.D. Richter (également auteur de L’INVASION DES PROFANATEURS DE SEPULTURE pour Philip Kauffman et réalisateur des très étranges AVENTURES DE BUCKAROO BANZAÏ A TRAVERS LA 8ème DIMENSION) qui mêle western et comédie fantastique. Jack Burton y est un cowboy vantard, héroïque mais pas bien futé, débarquant à San Francisco et qui, pour retrouver son cheval qui lui a été volé, va se perdre dans Chinatown, ses légendes et ses fantômes. En acceptant de porter cette histoire à l’écran, Carpenter va se retrouver plus ou moins contraint de la transposer dans un univers contemporain. Une concession faîte au studio et au public, qui n’a plus vraiment le goût des westerns. Jack Burton le cowboy devient donc Jack Burton le camionneur. Ce qui, finalement, n’a que peu d’importance. Parce que Jack Burton reste un idiot dépassé par les évènements. Et parce que c’est à l’asiatique que revient le privilège de botter des culs et de secourir sa promise des griffes du maléfique Lo Pan.


Le tournage, qui marque la quatrième collaboration de John Carpenter avec son acteur fétiche Kurt Russell, se déroule sans le moindre problème et sans intervention aucune des exécutifs. Plutôt surprenant lorsque l’on sait que la Twentieth Century Fox y a injecté la somme maousse de 25 millions de dollars et compte en faire un succès. Seul un nouveau prologue, censé rendre Jack Burton plus « héroïque » (le vieux Egg Shen vante les mérites du camionneur à son avocat), sera tourné à la demande de l’un des producteurs, Barry Diller. Pour le reste, pas de doutes, le métrage est conforme aux intentions du cinéaste. C’est un hommage flamboyant et généreux aux wu xia pan de la Shaw Brothers, aux premiers films de Tsui Hark (ZU ET LES GUERRIERS DE LA MONTAGNE MAGIQUE est cité plus d’une fois) mais aussi à la série japonaise des BABY CART. Bien avant MATRIX où TIGRE ET DRAGON, John Carpenter met le cinéma asiatique à l’honneur dans un blockbuster américain.
Qu’est-ce qui cloche alors ? Pourquoi diable LES AVENTURES DE JACK BURTON … s’est-il planté en salle ?
Le service marketing n'a eu de cesse de se demander pourquoi Jack Burton ne se conduisait pas plus en héros, pourquoi sa romance avec la magnifique Kim Catrall échoue sans appel (« Vous n’allez pas l’embrasser, Jack ? – un court moment de réflexion – « Non. ») et surtout, surtout, pourquoi on accorde tant d’importance à l’histoire d’un jeune restaurateur chinois amoureux et qui ne recule jamais devant le danger. Ces braves commerciaux se sont tout simplement retrouvés dans une impasse. Comment vendre un film que l’on ne comprend pas à un public dont on est plus ou moins certain qu’il ne le comprendra pas non plus ? Ne cherchez pas. Ils ne prirent même pas la peine de le vendre.


Ironie du sort, après quatorze ans le film est enfin rentable et respecté par les cinéphiles. Laissons donc le mot de la fin à Kurt Russell : « On aime le film ou on le déteste, mais c’est généralement une bonne façon de savoir si ceux qui l’ont vu ont ou pas le sens de l’humour. » Bien dit.

samedi 28 mai 2011

LE SURVIVANT - 28 mai 2014 (épisode #64)

Je n'ai pas croisé le moindre mort-vivant aujourd'hui. Je n'ai parcouru qu'une petite vingtaine de kilomètres, la chaleur et les arrêts fréquents pour consulter ma carte et ma boussole m'empêchant de mettre le turbo. 
Et durant tout le trajet, Pierre m'a suivi. A bonne distance; mais toujours visible. Il me suit et il s'occupe de moi. A mon réveil, un café bien chaud m'attendait. Il se comporte comme une sorte d'ange gardien. Mais, ... un ange gardien cannibale qui a survécu en tuant et en se nourrissant de la chair de tous ceux qui se sont approchés trop près de lui, il faut dire que ça n'est pas banal. Je reste prudent, mais il est peu probable qu'il tente de me faire du mal. Il en a eu plus d'une fois l'occasion, après tout.

La mer se rapproche à chacun de mes pas. Je peux le sentir. C'est con mais c'est pourtant ce que je ressens. Je suis en pèlerin en terre abandonnée, suivi par un bienfaiteur anthropophage. L'ironie de la chose m'a arraché un fou-rire. Je n'ai plus d'attaches. Je n'ai plus rien. Je m'acharne à avancer et à vivre alors que j'ai vu tant de gens qui ont préférés le suicide à ... ça. J'ai un but, même si je ne suis pas vraiment foutu de l'expliquer en des termes simples. Ce n'est pas simplement une question d'instinct. C'est ... putain, je sais pas ce que c'est. J'avance, je respire, je vis. Point barre. Pour les détails, je verras quand je serais arrivé à bon port. 

Je repense à Elisa. Je repense à Carole. Je repense à mes parents et à ma vie d'avant. Et je me demande si c'est tellement difficile d'oublier. Il me suffit de rester concentré sur la ligne d'horizon et tous ces visages si familiers, si importants, deviennent subitement flous. 

J'ai repéré un gîte à deux cent mètres. Pierre aussi l'a vu. Il me l'a montré du doigt, toujours souriant, toujours muet. J'hésite à y passer la nuit. Puisqu'il semble vouloir régler son pas sur le mien, je suppose que Pierre hésite aussi. Je me demande si Pierre va me suivre encore longtemps, s'il va vouloir m'accompagner jusqu'au bout. Tant qu'il reste loin de moi, ça me va. S'il se rapproche de moi, je vais me sentir obligé de lui adresser la parole. Honnêtement, de quoi pourrions-nous bien parler ?




LE CINEMA AMERICAIN DES ANNEES 80 #60 - ROCKY IV

Réalisé par Sylvester Stallone - Sortie US le 27 novembre 1985.
Scénario : Sylvester Stallone.
Musique : Bill Conti, Vince DiCola.
Directeur de la photographie : Bill Buttler.
Avec Sylvester Stallone (Rocky Balboa), Burt Young (Paulie), Talia Shire (Adrian), Carl Weathers (Apollo Creed), Brigitte Nielsen (Ludmilla Vobet Drago), Dolph Lundgren (Captain Ivan Drago), ...
Durée : 90 mn.

Alors qu'il espère prendre sa retraite, Rocky Balboa rempile pour venger la mort de son ami Apollo Creed, tué sur le ring par Ivan Drago, un boxeur russe, ...


Dans la droite lignée de ROCKY III, cette nouvelle suite s'écarte toujours un peu plus du réalisme seventies des débuts et inscrit définitivement son héros au panthéon des grands héros américains. Après avoir affronté son double "maléfique" (Clubber Lang, aka Mister T) et surmonté la perte de son mentor, c'est face à un véritable titan que se mesure désormais Rocky, sur fond de vengeance et de duel idéologique entre deux super puissances. Le "petit" Stallone contre le géant Dolph Lundgren. L'Amérique contre le Bloc Soviétique. L'homme de la rue, faillible, contre la machine invulnérable. 
Si l'on enlève un bon gros quart d'heure de flash-backs constitués d'extraits des précédents films, cet opus est le plus court de la saga du boxeur de Philadelphie. Intense, frénétique, spectaculaire. En pleine possession de ses moyens, sûr de lui, Stallone cale son montage ultra(upper)cut sur sa bande son et ne laisse que très peu de temps morts. La dramaturgie se résume donc à une suite ininterrompue de moments ultra-iconiques. Les images remplacent les dialogues et ROCKY IV ressemble plus que jamais à un long clip musical. 


Mais ça n'est pas pour autant que Stallone n'a rien à dire, ou que l'histoire est superficielle. ROCKY IV n'a rien de gratuit et ne peut en aucun cas être limité à spot patriotique et anti-communiste primaire étiré juste sur la durée légale d'un long-métrage. Oubliez le fameux plan de Rocky triomphant enveloppé dans le drapeau américain ou encore la conclusion de la bande annonce de l'époque où les gants de boxes américains et russes explosaient sous la puissance du choc. La bataille d'idées ne s'arrête pas à "méchants russes" contre "gentils américains".  Stallone préfère mettre en avant une véritable leçon d'humilité, bien plus dans la tradition de la saga. Symbole d'une Amérique vaniteuse et trop sûre d'elle, Apollo tombe face au géant russe, avare en mots et en vantardises. Pour le vaincre, Rocky ne se tourne pas vers sa patrie mais préfère partir s'entraîner sur le sol soviétique, usant de techniques carrément low-tech. Car le talon d'Achille du stakahnov du ring incarné par Dolph Lundgren est d'avoir troqué la simplicité contre des machines qui rappellent étrangement la supposé supériorité technologique américaine. Rocky puise chez son ennemi la force authentique auquel celui-ci a tourné le dos. Il est donc assez étonnant de voir Stallone, héros de la toute puissante Amérique, vanter les bienfaits de la "vraie" Russie, celle des steppes et des campagnes. La propagande reaganienne est bien présente mais elle s'accompagne de tolérance, du besoin d'échange entre cultures. Fut-ce à grands coups de poings dans la tronche, bien sûr ...


Parfaitement à l'aise, le casting d"origine continue de briller comme au premier jour, Talia Shire en tête, son Adrian étant une goutte de tendresse salvatrice dans un monde de brutes musclées. Technicien accompli et acteur investi, Sylvester Stallone soigne autant les combats que sa carrure de combattant musculeux. Face à ces (déjà) vieux routiers, le couple Brigitte Nielsen/Dolph Lundgren impressionne durablement. Ivan Drago est bel et bien l'adversaire le plus impressionnant que Balboa ait jamais eu à affronter. Ne serait-ce que pour lui, ROCKY IV mérite le visionnage. Fight !

vendredi 27 mai 2011

LE SURVIVANT - 27 mai 2014 (épisode #63)

Je sais maintenant ce qu'il est arrivé aux passagers de l'autocar renversé à bord duquel j'ai passé la nuit. Leur sort ne fut pas très différent de bon nombres d'autres survivants qui ont le malheur de passer par là. Ils ont été bouffés. Mais pas par des morts-vivants. Par un homme. Un homme aussi seul que moi.

Il s'appelle Pierre. Il ne m'a pas dit son nom de famille. Il m'attendait à mon réveil, assis sur un rocher, buvant un café. Un thermos se trouvait à ses pieds. Il m'a souri, m'a salué et m'a proposé un café. Je lui ai demandé depuis combien de temps il était là et s'il m'avait suivi la veille. Il a souri à nouveau, un grand sourire béat. Mais il ne m'a pas répondu. Il s'est levé et m'a proposé de le suivre pour le petit déjeuner. Ce n'est pas moi mais mon estomac qui a répondu. Putain, je crevais vraiment la dalle ! Alors, je l'ai suivi. Nous avons marché un bon kilomètre jusqu'à un gîte, petit mais confortable. A ma grande surprise, l'endroit avait encore l'électricité fournie par un groupe électrogène. Pierre m'a expliqué qu'il utilisait l'essence avec parcimonie. Il m'a expliqué aussi qu'il n'avait pas adressé la parole à qui que ce soit depuis plus d'un mois. Ce qui n'est pas un mensonge quand j'y repense. Pierre n'a jamais adressé la parole à ces personnes qu'il a tué, dépecé et mangé.

Je n'ai pas découvert le pot aux roses à la suite d'une longue investigation. Il n'y pas eu de mystères. Sitôt entrés dans le gîte, il m'a avoué son penchant pour la viande humaine en m'amenant dans son garde-manger. Sept corps, dont deux étaient des corps de jeunes enfants, suspendus par les pieds, dénudés, découpés et gardés au frais autant que possible. Il m'a montré ça comme on montre la nouvelle voiture que l'on vient d'acheter ou comme on montre cette pièce magnifique que l'on vient de repeindre. Le plus horrible, ce n'était pas ces corps. C'était le regard de Pierre. Le regard d'un homme innocent. 

Je ne lui ai pas demandé pourquoi il avait fait ça. Il me l'a expliqué lui-même. La faim, d'abord. Puis il m'a expliqué qu'il avait développé un véritable goût pour la chair humaine. Il y avait une quinzaine de survivants dans le bus échoué au fond du ravin. Ils voulaient de l'aide. Au lieu de ça, Pierre les a tous tué sans même y penser à deux fois. Il a ramené les corps un par un et s'est constitué sa réserve. Sans doute qu'il avait ça en lui depuis longtemps. Et peut-être même qu'il s'imaginait aussi partageant un repas avec moi.

Il m'a vu porté la main à mon arme mais n'a pas fait de geste menaçants. "Vous voulez me tuer ? Vous croyez que je le mérite, c'est ça ?" m'a t-il dit, en me regardant droit dans les yeux, le visage vierge de toutes émotions. J'ai voulu le tuer et j'aurais peut-être dû. Mais je n'ai pas pu. Cet homme ne voulait qu"une seule chose : parler, se sentier civilisé à nouveau, ne serait-ce que pour un court instant. J'ai pointé mon arme sur lui. Je me suis approché et j'ai appuyé le canon contre son front. Oui, j'ai failli appuyer sur la détente. Mais je ne l'ai pas fait. J'ai laissé ce monstre à sa solitude. Je me suis appliqué à ne rien dire, pas un mot.

J'ai tourné les talons et je suis reparti. J'ai poursuivi ma marche toute la journée, me retournant fréquemment. Mais il ne m'a pas suivi. Pas que je sache.

LE CINEMA AMERICAIN DES ANNEES 80 #59 - LE SECRET DE LA PYRAMIDE

Réalisé par Barry Levinson - Sortie US le 4 décembre 1985 - Titre original : Young Sherlock Holmes.
Scénario : Chris Columbus, d'après les personnages imaginés par Sir Arthur Conan Doyle.
Musique : Bruce Broughton.
Directeur de la photographie : Stephen Goldblatt.
Avec Nicholas Rowe (Sherlock Holmes), Alan Cox (John Watson), Sophie Ward (Elizabeth Hardy), Anthony Higgins (Professor Rathe), Susan Fleetwood (Mrs Dribb), Freddie Jones (Chester Cragwitch), Nigel Stock (Rupert Waxflatter), Roger Ashton-Griffiths (Inspector Lestrade), ...
Durée : 109 mn.

Sherlock Holmes et John Watson, alors adolescents et étudiants dans un établissement de Londres, se lient d'amitié et mènent l'enquête sur une étrange série de suicides provoqués par de violentes hallucinations, ...


Bien avant que les prequels, reboots et autres origin stories ne deviennent la mode pour un Hollywood dramatiquement à court d'idées, LE SECRET DE LA PYRAMIDE mené par le trio Spielberg/Columbus/Levinson défricha un terrain encore relativement vierge. Le défi était de taille : rendre hommage aux récits et aux personnages mondialement célèbres de Conan Doyle tout en gardant sa propre voix et en racontant une histoire 100% originale. La réussite est éclatante.
Le soin apporté au scénario, aux décors, à la musique, aux effets spéciaux et surtout au casting (sans le moindre acteur connu) constituent une preuve de respect sincère envers les fans des aventures du célèbre détective. Tout en enchaînant les énigmes tortueuses baignant dans une ambiance victorienne du plus bel effet, l'histoire offre un pont idéal entre un Sherlock Holmes méconnu, passionné et romantique, et le fin limier froid et déshumanisé que l'on connaîtra plus tard. Pour ne pas déroger à la tradition, l'histoire est contée par le docteur Watson, ami et admirateur et le ton oscille entre le souvenir ému d'une jeunesse pleines de promesses et une tristesse inhabituelle pour ce type de grosses productions labellisées "tous publics". 


Deux axes dramatiques majeurs constituent la colonne vertébrale de cette histoire de vengeance et de malédictions venues de l'Égypte Antique. Il y a tout d'abord l'histoire d'amour entre Holmes et Elizabeth (la magnifique Sophie Ward) dont l'issue (forcément) tragique est apte à fendre le cœur des spectateurs les plus bourrus. C'est l'histoire d'un jeune homme qui va apprendre à quel point aimer peut faire mal. Il y a ensuite la relation de maître à élève entre ce même Holmes et le mystérieux Rathe. Résumée à travers quelques regards remplis d'admiration et de crainte et de longs duels d'escrime, cette seconde histoire est un écho de la première et renvoie le jeune Holmes a une tragédie familiale. Au cours d'une hallucination, il est révélé que Holmes a trahi son propre père à cause de son insatiable curiosité. Rathe deviendra alors un père de substitution pour Holmes. En retour, ce sera à Rathe de trahir Holmes. La boucle est bouclée et l'impossibilité pathologique pour Sherlock Holmes d'accorder sa confiance à qui que ce soit y trouve sa source. Sous la caméra de Barry Levinson, le passage à l'âge adulte de Sherlock Holmes se traduit par une perte de sentiments, d'amour, d'amitié. Une victoire à la Pyrrhus. 


LE SECRET DE LA PYRAMIDE étonne aussi par sa violence et son traitement de l'effroi. Les hallucinations dont les membres de la secte égyptienne vengeresse se servent pour pousser leurs victimes à la mort ne manquent pas d'images marquantes. Statuettes de gargouilles aux griffes acérées, portes manteaux tentaculaires, morts-vivants ricanants ou encore vitraux prenant vie soudainement. On tremble réellement et on en prend plein les mirettes. 


Exemple de blockbuster intelligent qui ne prend pas les enfants pour des neuneus, vrai film fantastique portant le sceau de son producteur Steven Spielberg, LE SECRET DE LA PYRAMIDE est le dernier coup d'éclat de Chris Columbus scénariste avant que celui-ci n'entame une carrière de metteur en scène plutôt discutable. Son travail sur les deux premiers HARRY POTTER ne cesse d'ailleurs de citer ce SECRET DE LA PYRAMIDE sans jamais en atteindre l'élégance. De belles promesses donc, mais restées sans suite. Columbus aurait dû rester scénariste, vraiment.

jeudi 26 mai 2011

LE SURVIVANT - 26 mai 2014 (épisode #62)

La chaleur est étouffante. Je pue la transpiration et je dois me faire violence pour ne pas épuiser mes réserves d'eau à vitesse grand V. Du coup, je ralentis considérablement le rythme. Mais le paysage est magnifique, sauvage. Une nature préservée. Dans le ciel, très haut, les vautours tournent sans relâche. Ici, c'est leur domaine. Mais ils tournent pour rien. Je suis bien vivant. Et les zombies ne fréquentent guère les lieux. Je n'en ai croisé que deux aujourd'hui. Des créatures misérables, en état de décomposition très avancé. L'un était même couché sur le sol, incapable de se relever et encore moins de mordre. Je l'ai achevé. Il semblerait qu'il me reste un semblant de pitié.

Si ma mémoire est correcte, on peut trouver de nombreux gîtes dans le parc. J'espère simplement que d'autres survivants ne les occupent pas. Le partage n'est plus à l'ordre du jour. Et je ne voudrais pas voir à tuer quelqu'un pour profiter de son bien. Entre le meurtre et dormir à la belle étoile, mon instinct me dicte de choisir le meurtre et tant pis pour la morale. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais la moralité est une devise qui s'échange très mal ces temps-ci. Sa valeur a chuté bien en dessous de zéro.

Mes pieds me font mal malgré mes nouvelles chaussures. C'est sans intérêt mais la douleur est bien réelle. Fait chier. Si je croise un cheval à nouveau, il va peut-être falloir que je m'improvise cavalier. Nécessité fait loi.

Dans un ravin, j'ai découvert un car de tourisme. Du genre luxueux et moderne. Étrange vision. Les roues sont crevées à l'arrière et il y a pas mal de traces de sang, pas si anciennes que ça. A défaut de gîte, ça devrait faire l'affaire en tant que refuge pour la nuit. Mais je me demande comment il a pu atterrir là. Je sais pas quoi mais il y a quelque chose dans ce tableau qui sonne faux. Une petite musique dans mon esprit a retentit. Va falloir rester prudent.

LE CINEMA AMERICAIN DES ANNEES 80 #58 - POLICE FEDERALE LOS ANGELES

Réalisé par Ridley Scott - Sortie US le 1er Novembre 1985 - Titre original : To Live and Die in L.A.
Scénario : William Friedkin et Gerald Petievich, d'après une histoire de Gerald Petievich.
Musique : Wang Chung.
Directeur de la photographie : Robby Müller.
Avec William Petersen (Richard Chance), Willem Dafoe (Eric "Rick" Masters), John Pankow (John Vukovich), Michael Greene (Jimmy Hart), Debra Feuer (Bianca Torres), ...
Durée : 116 mn.
Après la mort de son partenaire de longue date, l'agent Richard Chance se jure d'arrêter Rick Masters, un fabricant de faux billets, par tous les moyens possibles. On lui assigne alors un nouveau partenaire, John Vukovich, respectueux des règles à suivre, ...



L'adieu de William Friedkin au polar ? On serait bien tenté de le croire, tant ce POLICE FEDERALE LOS ANGELES prend des allures de feu d'artifice flamboyant. Quatorze ans après FRENCH CONNECTION, Friedkin associe à nouveau deux flics très différents prêt à se perdre dans la traque d'un criminel insaisissable et livre une poursuite en voitures d'anthologie. Mais la comparaison ne s'arrête pas à ces détails de surface.


 "Popeye" Doyle (interprété par Gene Hackman dans FRENCH CONNECTION) et Richard Chance (William Petersen, dans un rôle dont il n'a jamais su s'extirper, voir MANHUNTER et la série LES EXPERTS) ont de nombreux points en communs. Il s'agit d'hommes ne vivant que pour leur métier. Ce sont des prédateurs sans attaches et à la morale discutable. Ce sont des fanatiques, purement et simplement. Comme Friedkin aime à traiter la contamination de l'innocence par le mal, il ne manque pas de montrer à quel point la quête de ces policiers parvient à déteindre profondément sur leur entourage. Sauf que chez Chance, cette hargne lui survivra même par delà la mort, "possédant" son partenaire jusqu'à alors très propre sur lui. Par rapport à "Popeye" Doyle, il s'agit d'un aboutissement. Ce qui a commencé à New York se termine à Los Angeles, à l'autre bout du continent, la Cité des Anges.



Formellement parlant, POLICE FEDERALE LOS ANGELES opère une synthèse parfaite entre le Friedkin réaliste et documentaire de FRENCH CONNECTION et sa veine plus esthétisante abordée dès L'EXORCISTE et clairement revendiquée dans le troublant CRUISING. Les teintes orangées sont dominantes. Los Angeles s'oppose à la grisaille de New York, la mégalopole californienne semblant irradier continuellement, même la nuit. Los Angeles est filmé comme un incendie qui ne veut jamais s'éteindre. 
Le dernier parallèle entre les deux œuvres peut s'effectuer via ces deux "méchants". Il s'agit clairement d'êtres raffinés et extrêmement intelligents. Violents, imprévisibles et mystérieux. Le personnage incarné par Willem Dafoe est un prolongement de celui autrefois incarné par Fernando Rey. Le premier pourrait même être le fils du second, chronologiquement parlant. Satan, immortel et jamais arrêté, et son fils, artiste et autodestructeur. La filiation entre ces deux là est évidente.


POLICE FEDERALE LOS ANGELES est un polar tétanisant, brillant dans ses ruptures de tons et virtuose. Extrêmement culotté dans sa façon de lancer le dernier acte (à la suite d'un rebondissement vraiment imprévisible et que je préfère taire pour ceux qui n'ont jamais vu le film). C'est aussi le dernier chef d'œuvre de William Friedkin. Même si carrière reste passionnante, elle n'a plus vraiment la même saveur.

mercredi 25 mai 2011

LE SURVIVANT - 25 mai 2014 (épisode #61)

J'entre dans le parc National des Cévennes. J'ai atteint la commune de Mende au terme de 71 kilomètres de marche acharnée. J'ai levé le camp à l'aube et j'ai marché jusqu'à la tombée de la nuit, ne m'accordant que de rares pauses d'à peu près 10 minutes. J'ai trouvé un certain nombre de points d'eau sur le trajet et mes forces reviennent. Je me suis senti presque comme sur un nuage, galvanisé. Les zombies se font de plus en plus rares et je croise bon nombre d'animaux en liberté. Fermes, zoos et autres parcs animaliers se sont vidés de leurs occupants. Les bêtes s'éparpillent sur tout le territoire. Cela m'a donné l'occasion de vérifier si j'avais d'éventuels aptitudes à la chasse. J'ai gâché un chargeur ... pour un seul lapin. Pathétique. Mais il fera l'affaire. Ce soir, c'est lapin à la broche. Si j'arrive à le préparer correctement.
C'est con mais, en dépit de tous les actes de cannibalismes dont j'ai pu être témoin, la viande me manque. Je suis un carnivore incorrigible. J'ai bien eu un trip végétarien fut un temps, mais ça m'est très vite passé. J'ai cédé à mes instincts sur ce point là. Et puis, j'en ai vraiment plein le cul des conserves aussi.

Tout autour de moi, ce qui apparaît déjà comme les vestiges de la civilisation attire mon regard. Carcasses de véhicules, villas brûlées et pillées, poteaux téléphoniques à terre, radars truffés de plomb (certains fuyards ont du y voir l'opportunité de se défouler). Fréquemment, il m'arrive de piétiner des téléphones portables ou des GPS. Des reliques abandonnées. A vrai dire, un GPS sans batterie n'a aucune valeur face à une carte et une boussole en bon état.

Je croise aussi des tombes artisanales, mais aussi des charniers. des montagnes de cendres. Il y a des messages, des lettres et des photos. Mais tout le monde n'a pas eu le courage d'achever un proche contaminé. Certaines tombes semblent remuer. Mieux vaut ne pas s'en approcher, c'est assez évident. Sur un plateau assez dégagé, en hauteur, j'ai pu observer une horde de zombies évoluant vers l'ouest. Le mouvement de cette "foule" ne semble pas très coordonné. Mais c'est une fausse impression. Une même envie les anime. C'est une armée en marche. Je doute qu'il m'ait vu, mais je ne me suis pas attardé pour autant. J'ai bouffé des kilomètres. Et mes chaussures me lâchent. J'irai voir demain si je peux m'en dégotter une nouvelle paire.

La traversée du parc va me contraindre à ralentir. Quelquefois, je me sens comme un pèlerin.

LE CINEMA AMERICAIN DES ANNEES 80 #57 - OUT OF AFRICA

Réalisé par Sidney Pollack - Sortie US le 18 décembre 1985.
Scénario : Kurt Luedke, d'après le livre de Karen Blixen (Isak Denisen).
Musique : John Barry.
Directeur de la photographie : David Watkin.
Avec Meryl Streep (Karen Blixen), Robert Redford (Denys Finch Halton), Klaus Maria Brandauer (Bror Blixen/Hans Blixen), Michael Kitchen (Berkeley Cole), Shane Rimmer (Belknap), Michael Gough (Baron Delamera), ...
Durée : 161 mn.
L'histoire d'amour entre une aristocrate danoise et un chasseur anglais, de 1914 à 1931 au Kenya, ...


Le classique romanesque de Sidney Pollack. Adaptation d'un livre extrêmement populaire, une histoire vraie qui plus est, ce long-métrage, triomphe absolu aux oscars, peut se vanter d'être l'une des plus belles représentation de l'Afrique sur grand écran. Le glamour du couple vedette (Meryl Streep et Robert Redford, alors au sommet de leur art, c'est à dire humbles, charismatiques et crédibles et pas gonflants comme ils sont devenus par la suite) est magnifié par une photographie hallucinante et le score élégant de John Barry, et contrebalancé par la description sans fard de la déconfiture progressive du colonialisme blanc. 

La scène la plus incroyablement sensuelle du film.

 La nostalgie, le spleen profond qui irrigue tout OUT OF AFRICA évoque constamment un autre chef d'oeuvre de Sidney Pollack, JEREMIAH JOHNSON. Ces deux films partagent la même qualité. C'est dans leurs instants d'extrême contemplation, de solitude et de silence que la puissance du drame se fait plus évidente. Une impression renforcée par la voix-off pleine de vieillesse et de lassitude de l'héroïne. De tels procédés inscrivent OUT OF AFRICA dans la logique du rêve, du souvenir qui, déjà, semble s'évanouir. Avant même que l'histoire d'amour ne débute, celle-ci est condamnée d'office. Condamnée par le temps. Les espoirs du spectateur sont vains, mais ça n'empêche pas Pollack de les encourager de temps à autre. Cruel, oui, mais efficace. 

Western ou film d'aventures ?

Face au colonialisme aristocrate, OUT OF AFRICA ne fait preuve d'aucune tendresse. Toute la futilité et la bêtise de la chose sont symbolisé par ce club strictement réservé aux gentlemen. Archaïque et désuet, forcément. Au travers du regard désabusé et apolitique du personnage de Denys Finch Halton, le cinéaste observe les décisions prises, les unes après les autres, soulignant le manque de logique et d'humanité au profit de valeurs antédiluviennes et/ou intéressées. Le chaos de la décolonisation s'annonce en filigrane, les nations africaines se retrouvant corrompus par des idéaux européens qui leur ont été imposé au fil du temps. Lorsque Karen, l'héroïne, est finalement admise au sein de ce club, ce n'est qu'à titre honorifique, exceptionnel. Un adieu au bon sens. Car il est alors trop tard.

Le choc des cultures ?

Face à cette critique, seule nature semble immuable, hors du temps. La belle histoire finit mal. Le passé reste le passé. Probablement le plus beau film de son auteur et sans nul doute le plus triste, le plus désespéré. Avec LE PATIENT ANGLAIS, Anthony Minghella saura se souvenir de ces qualités.