La rumeur, déjà, se répand. Je ne suis plus du tout fréquentable. Une bombe à retardement, prête à péter à la gueule de tous les survivants du camp. La rumeur est une créature formidable, auto suffisante, qui se nourrit d'elle-même et grandit rapidement. Comme un cancer. Comme le Blob dans ce film d'horreur si cher à la mémoire du cinéphile que je fus dans une vie antérieure et tellement lointaine aujourd'hui.
Cela commence ainsi :
Le Capitaine Verney, leader soucieux du bien être des civils placés sous sa responsabilité, s'inquiète de mon comportement, de mon mutisme prolongé.
Craignant que je ne me fasse sauter le caisson ou que je ne m'ouvre les veines ou, pire encore, que je ne blesse d'autres personnes, ordonne à l'un de ses soldats de fouiller ma chambre, à la recherche d'une arme quelconque.
Le soldat en question trouve mon journal. Il le feuillette - rien de mal à ça - et y découvre les états d'âme d'un personnage dérangé et dangereux.
Comme tout bon soldat, il en réfère à son supérieur et lui transmet LA preuve.
Le supérieur convoque le civil dérangé et tente de raisonner avec ce dernier, se montrant ainsi raisonnable et psychologue. Un bon leader, quoi.
L'entretien est un long calvaire, un psychodrame en puissance. Le civil en question est véritablement un danger. Que faut-il en faire ? Le surveiller, attendre.
Que contiennent ces pages qui inquiètent tant le leader éclairé ? Par souci de confidentialité, parce qu'il considère que certains secrets doivent le rester, il refuse de le révéler. Aussi, à quoi cela pourrait t-il bien servir ? A inquiéter les survivant sous sa responsabilité plus que de raison ? Non. Un bon leader ne déclenche pas de panique, n'alimente pas les angoisses.
Parce qu'il faut bien prendre une décision, rester prudent tout en se montrant humain et raisonnable, il confie à une poignée de civils respectables la surveillance de l'élément instable.
La rumeur commence ainsi.
J'ai fait quelque chose. Quoi ? Qu'est-ce qu'on en a à foutre ! J'ai fait quelque chose qui fait peur, quelque chose d'inavouable qui me rend dangereux aux yeux de tous. A partir de là, l'imagination de chacun se permet de remplir les blancs. Chacun a sa propre théorie. Et tous sont prêt à croire l'hypothèse la plus fantaisiste et la plus terrifiante. Parce que tout le monde a peur.
Je ne dormirai plus seul dans ma chambre. Christine et Frédéric sont mes nouveaux colocataires. Mes gardiens. Mes cerbères.
On ne me regarde plus avec compassion. On me regarde avec méfiance.
A l'exception, toutefois, de quelques uns. Kader et Alexis me font confiance. Le soldat Deschain aussi. Il m'a pris mon nouveau journal pour le dissimuler. Sous prétexte de prendre le relais pour me surveiller, il me permet d'écrire en toute tranquillité.
Je n'ai pas beaucoup de soutien, et je doute que cela suffise à me sauver la mise lorsque Verney abattra ses cartes. Je suis devenu le nouveau Charles Tissier. Une menace et un exutoire pour ce camp. Me fusiller contre un mur avec l'approbation de tous pourrait bien être le remède miracle de Verney contre la folie ambiante.
Le leader anticipe la menace.
Le leader élimine la menace.
Le leader est bon. Le peuple est reconnaissant et rassuré.
Le peuple obéit et ne pose plus de questions.
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