mardi 28 juin 2011

LE SURVIVANT - Passé, présent, futur "La Dernière Route" 9ème partie (épisode #100)


Je me suis réveillé d’un long rêve qui a fait couler mes dernières larmes. Et une ombre s’est penchée sur moi. Cette ombre avait dû être un homme autrefois. 

L’ombre s’est posé sur mon épaule et j’ai ressenti une profonde morsure. Le sang s’est mis à couler mais la douleur n’est arrivé qu’un peu plus tard. L’ombre s’est retiré de mon épaule et s’est aussitôt dissipée. En s’évanouissant, elle n’a produit qu’un faible son. Un soupir. 

Avec la douleur est venue la fièvre. Une fièvre aussi brève que virulente. J’ai cru mourir mais c’est autre chose qui est arrivé. Le Grand Voile s’est abattu sur le monde, plus opaque que jamais, et la lumière du soleil a été réduite à une faible lueur diffuse. Le monde était prêt à sombrer. 

Ni tristesse, ni joie. Mes émotions m’ont abandonnées. Je suis libéré de leur dictature.

Toutefois, je n’ai pas bougé. Je suis resté assis à entendre. 

Des heures, des jours, des mois, des années.
Des heures, des jours, des mois, des années.
Mais le temps n’a plus la moindre emprise sur mon corps.

Je suis comme une statue, mais mon regard est vivant, avide, puissant.
Puis, la terre s’est mis à gronder. Et la mer, si calme, s’est mise à bouillonner.
Le lien qui m’unit aux six autres m’a renvoyé cette même image encore et encore. Un ciel sombre, totalement occulté et une mer agitée et bouillonnante.
Puis, le grondement a cessé.
Quelques infimes secondes d’un silence total.

Et une gigantesque colonne vivante et luisante, noire, entourée de silhouettes vaporeuses a émergé dans un grand fracas, projetant de grandes vagues. La colonne a continué de s’élever dans le ciel, jusqu’au moment où elle a commencé à s’incliner et à se plier. La colonne est devenu comme un bras cherchant à s’extirper de l’eau pour chercher une prise sur la terre ferme. A force de se plier ainsi, l’extrémité de la colonne a fini par s’abattre sur les collines a des kilomètres de là, détruisant toute la région sous la force de l’impact. Incapable de bouger, protégé des tourments infligés à la terre autour de moi, je n’ai pas pu détacher mon regard de la colonne vivante. A chaque seconde, elle m’a semblé gagner en force, puisant dans mon âme et dans mes yeux. 

Il est temps.

A côté de moi, mon vieux journal maltraité et tâché, reçoit les mots que mon esprit tourmenté est encore en mesure de lui envoyer. Les lettres s’impriment d’elle-même. Et je me dis qu’il est temps de conclure. Ce qui faisait de moi un humain, un homme, s’échappe. La colonne vivante de la Race Oubliée me vide sans me tuer et me transforme en une chose que je ne sais pas définir correctement. Une statue, un miroir et un puits.
Mais je ne suis toujours pas mort.
Toujours pas mort.

Je suis le Survivant.

LE SURVIVANT - ??? 2016 "La Dernière Route" 8ème partie (épisode #99)

Nous sommes en février 2014. Et les émissaires propagent la parole. L’armée des morts-vivants déclare la guerre à l’humanité. 

Le passé détient la vérité.

Guidés par leur faim et par les signes dans le ciel, les émissaires parcourent le monde entier. Ils ont engendrent de nombreux disciples et libèrent le virus. 

Au début, ils ne mangent que pour satisfaire la faim. Manger, se cacher. Manger, se cacher. Manger, se cacher. Encore et toujours. Les fines plaies sombres et suintantes se transforment en énormes furoncles purulents. Chacun de ses furoncles contenant le virus capable de faire revenir les morts à la vie. Comme des spores prêt à libérer leur pollen.
Au bout de deux ans, le pollen commence à se répandre et, sans cesse, les émissaires voyagent. Allant de cimetières en morgues et de cités surpeuplées en bidonvilles misérables. Personne ne les voient. Leur fluide imprègnent la terre, les plantes, le bêton, l’acier et le verre. Les vents et les pluies le propagent dans l’atmosphère.  
Des cas se déclarent. Trop isolés pour lancer une panique mondiale ou alerter les autorités sanitaires. Mais le 2 février 2014, lorsque les journalistes diffusent plusieurs vidéos mettant en évidence la terrible réalité – le retour des morts à la vie – plus personne ne peut l’ignorer. Trop occupés à leurs affaires, les vivants ont négligés les morts. Et ils sont aussitôt submergés.
Le monde s’effondrent. Et le émissaires retournent dans leur pays d’origine, attendant qu’on leur assigne une nouvelle tâche. Attendant que les étoiles grondent et leur dictent leur volonté. Pendant un temps, ils cessent de s’alimenter et les créatures obèses qu’ils étaient devenus se desséchent rapidement.
Puis vient le signe attendu. En France, Thomas Sanders se met en route pour Paris.

Nous sommes fin mars 2014.

Dans la capitale en flammes, Thomas observe un homme fuir les hordes de ses disciples affamés. Il sait qu’il doit suivre cet homme et attendre son heure. 

Alors, il le suit. Parfois, il le regarde dormir. L’autre homme ne le remarque jamais. 

Il le suit jusqu’à un camp militaire. Pendant de longues semaines, il l’observe de loin et redécouvre une émotion humaine, l’impatience. L’homme que Thomas suit comme une ombre a un rôle à jouer lui aussi et il ne peut pas demeurer dans ce lieu sinistre éternellement. Il trouve une oreille compatissante. Un petit garçon triste. Et un autre homme qui a le même prénom que lui. Il leur suggère un plan et ses nouveaux disciples humains le concrétisent. 

Et la traque peut reprendre. 

Thomas croise des Fanatiques et une autre émotion refait surface : la peur. Thomas hait ces Fanatiques. Il lance l’armée des morts contre ces fous. Il n’assiste pas à leur chute mais il sait, dans son cœur pourri, qu’il ne reste rien de ces adorateurs de Dieu. 

Thomas suit l’homme mais finit par perdre sa trace. Pendant deux longues années, il se replonge dans l’attente. Ils se dessèche alors tellement qu’il n’est plus qu’une ombre lorsque, enfin, sa proie réapparait.
Et maintenant, sa mission prend fin. Un simple baiser et Thomas pourra à nouveau dormir. Il a tellement sommeil. 

L’homme est assis sur la plage.

LE SURVIVANT - ??? 2016 "La Dernière Route" 7ème partie (épisode #98)

Nous sommes le 3 avril 2009. Le monde ignore tout et continuera de tout ignorer encore longtemps.

A différents points du globe, sept hommes et femmes s’éveillent d’un cauchemar sans nom. Plus jamais ils ne retrouveront le sommeil. Choqués par l’impression de réalité de ce cauchemar, tous s’examinent devant une glace et constatent, avec effroi, que les blessures qui leur ont été infligées par les monstres de boue existent bel et bien. De fines cicatrices sombres et suintantes leur recouvrent le corps. 

L’homme s’appelle Thomas Sanders. Il est suédois mais il vit en France, au nord de Paris, depuis maintenant quinze ans. Sa femme, Liliane, est française. Il a deux enfants, Monika et Eric, et il est un informaticien respecté. En fait, il ambitionne même de révolutionner le monde de la micro-informatique avec un nouveau logiciel conçu pour l’échange de données. Il a 39 ans et ses rêves prennent enfin vie. 

Mais il a été choisi. Pour être l’un des émissaires de l’Apocalypse et du retour de la Race Oubliée. Au lendemain de son cauchemar, il se sent de plus en plus mal. Ses plaies ne le font pas souffrir mais elles lui font si peur qu’il préfère cacher leur existence à sa femme. Et une faim telle qu’il n’en a jamais connu lui déchire les entrailles. Il se retire dans son bureau, et ferme la serrure. Sa femme s’inquiète mais il trouve la force nécessaire pour maîtriser sa voix et la rassurer. Au moins pour un certain temps. Dieu merci, ses enfants sont à l’école.

Il examine à nouveau ses plaies et leur aspect est franchement hideux. Et la faim ne cesse de le tourmenter. Il a faim de sang et de chair et il a envie de sa femme. Il fait un pas vers la porte mais se ravise. Un docteur ? Que pourrait-il bien lui dire ? Quelle maladie peut-on attraper dans un cauchemar ? Non. Un docteur ne lui serait d’aucune aide. 

Il allume l’ordinateur. C’est un homme rationnel. Il se souvient de suffisamment de détails dans son rêve. Il se dit que sur internet, il y a des chances qu’il trouve un début d’explication. Mais alors qu’il touche le clavier, il sent une décharge électrique lui traverser le corps et l’ordinateur explose dans une gerbe d’étincelles. Et la faim est de plus en plus fortes. Il tombe à terre, incapable de se relever. Alertée par le bruit, sa femme se sert du double de la clef (pas de secrets dans la maison des Sanders, aucune porte fermée, jamais) pour pénétrer dans le bureau et trouver son mari se tordant de douleur sur le sol. Elle se précipite sur lui et le prend dans ses bras. Il marmonne sans cesse, dans sa langue d’origine, « hungrighet, hungrighet, hungrighet », « faim, faim, faim ». Elle pose sa main froide sur le front de son mari et la retire aussitôt. Comment peut-il encore être en vie avec une telle fièvre ? Mais alors qu’elle est sur le point de se lever pour appeler le SAMU, les pompiers, les urgences, n’importe quoi pourvu qu’ils viennent vite, il la saisit par le poignet et l’attire à elle. Il marmonne une dernière chose – « j’ai besoin de toi » - et l’embrasse passionnément. Elle devrait se débattre, refuser l’étreinte d’un homme aussi malade. Mais le baiser de l’homme qu’elle aime diffuse en elle un poison redoutable. Elle accepte le contact des lèvres brûlantes de son mari. Et lorsqu’il lui dévore la langue, elle ne proteste même pas. 

Thomas renverse son épouse sur le sol. Le goût de la langue de sa femme semble satisfaire sa faim. Mais ça n’est pas assez. Il veut le reste. Alors, il fait l’amour à sa femme et la dévore tout en même temps. Il n’en laisse rien. Sa salive liquéfie les os et il ingurgite la belle chevelure blonde avec gourmandise. Quelques heures plus tard, il ne reste qu’un tas de vêtements déchirés et sanguinolents sur le sol du bureau. Rassasié, Thomas part s’asseoir dans le salon et attend que ses enfants rentrent de l’école. Il les dévorera eux aussi. Puis il mettra le feu à sa maison avant de disparaître dans la nuit. La police, qui ne retrouvera aucun corps, est incapable de résoudre le mystère et la presse cessera de se passionner pour la disparition de Thomas Sanders au bout de quelques mois. Personne ne pensera à faire un rapprochement avec six autres cas similaires dans le monde.

Personne.

Mais l’œuvre n’est pas terminée. Et le passé vit toujours.

LE SURVIVANT - ??? 2016 "La Dernière Route" 6ème partie (épisode #97).

D’abord, les ténèbres. 

Puis un cri, un long cri de douleur. La pluie qui s’abat en un déluge assourdissant et, au loin, de grandes vagues qui se fracassent sur des remparts sombres et élevés. 

Un homme est étendu, nu, sur la pierre froide et humide. Au dessus de sa tête, la tempête fait rage. Il se relève et s’aperçoit qu’il est sur une grande place face à un temple antique, entouré de colonnes gigantesques qui semblent défier la colère du ciel. 

D’autres cris, au loin. 

Il a peur et il a froid et il se dit que tout ça n’est qu’un rêve, un mauvais rêve. Forcément, ce rêve, ce cauchemar va se terminer. Bientôt. D'un moment à l'autre.

Pourquoi le cauchemar ne se termine pas ?

Il s’avance vers le temple. Peut-être y trouvera t-il une réponse, le salut ou une sortie à ce cauchemar bien trop réel. Il n’a pas fait trois pas que des silhouettes s’approchent de lui, l’encerclant peu à peu. Ces créatures ne sont pas humaines. Elles semblent faîtes de boue, mais ce n’est pas tout à fait le cas. Il s’agit d’une pâte épaisse et nauséabonde et noire, faîte à partir de la peau, des muscles, des tendons et des organes des morts. Au milieu de leurs têtes malformées se trouve un seul œil, jaune, empli d’un désir malsain. L’homme voit s’évanouir tout espoir de fuite et ne peut qu’attendre la fin. Sa fin. Les créatures plongent ce qui leur sert de main dans leur propre panse et en ressortent chacun un poignard taillé dans l’os. 

Le cercle se referme et les créatures poignardent l’homme en de multiples endroits. Les plaies sont béantes et la douleur effroyable mais pas une goutte de sang ne s’échappe des blessures. Au bout d’un instant, les créatures cessent de frapper le corps de l’homme et reculent de plusieurs pas. L’homme constate que ses plaies s’ouvrent et se referment comme des bouches de bébés affamés réclamant leur pitance. Un grand tremblement fait gémir la pierre et une bourrasque soudaine souffle les créatures, les réduisant à une tornade de cendres. De plus en plus vite, les cendres tourbillonnent autour de l’homme, formant un épais nuage. Toujours plus grandes, les plaies finissent par aspirer le nuage de cendres et l’homme sent cette poussière assécher son sang pour le remplacer dans ses veines. Son corps brûle d’une fièvre ignoble et il ne peut que se tortiller, hurlant de douleur sur le sol de pierre. Du coin de l’œil, il voit d’autres nuages de cendres, d’autres hommes et femmes se faire poignarder. Il compte six autres suppliciés. Et le rite se répète. Et d’autres cris se font entendre. 

C’est à ce moment précis que la pierre sous son corps finit par céder. Il tombe dans un abîme sans fin, exposé au regard de monstres anciens et nombreux. Il tombe.

Il tombe et finit par se réveiller.

Il se relève dans son lit et ne prend que quelques secondes pour réaliser qu’il ne s’agissait que d’un cauchemar. Dehors, il ne pleut pas et sa femme est à ses côtés, grognant d'avoir ainsi été dérangé dans son sommeil puis se rendormant presque aussitôt.

Mais ce n’était pas un simple cauchemar.

Et le passé n’a pas révélé tous ses secrets.

LE SURVIVANT - ??? 2016 "La Dernière Route" 5ème partie (épisode #96)


Je me suis réveillé sur une plage de sable. Avant l’aube.

J’étais en sueur, pris de panique. Ça faisait longtemps. Et ça n’est pas normal. Si c’est un cauchemar, et j’en suis presque convaincu, je ne me rappelle de rien. Juste une vague impression. Celle d’être suivi et de ne pas pouvoir échapper à mon poursuivant. Comme paralysé, je suis resté plusieurs heures à scruter les horizons sans apercevoir le moindre mouvement, autre que celui des vagues. 

Comme je l’avais prévu, la petite fille noire et le garçon aux mains écorchés ont trouvés la plage qu’ils cherchaient. Une plage de sable fin décorée de mornes palmiers pour la première et une crique entourée de roches escarpées pour le second. Ils se sont assis à leur tour et se sont plongés dans une longue attente.
Laissant une partie de mes affaires sur la plage, certain de ne plus en avoir besoin, je me suis remis en marche. Vers l’ouest et le cap de l’Esterel. Quelques épaves de voitures bloquent la route à intervalles réguliers.
Au bout de trois kilomètres, j’ai dit au revoir au bitume pour mettre les pieds dans l’eau. Une eau tiède. 

Au bout de six kilomètres supplémentaires, afin de quitter la commune portuaire de Mandelieu, il m’a fallu m’éloigner du bord de mer et affronter une dernière série de montées et de descentes.

Au bout de sept derniers kilomètres, j’ai fini par la fin de la route. La fin de mon voyage. J’ai emprunté un escalier quittant la route pour accéder à un petit bout de plage, une lagune en fait. L’eau, qui avait dû être transparente autrefois, est désormais souillée et je n’ai pas osé y remettre les pieds. 

Je ne me suis pas arrêté un instant pour penser au voyage accompli, à mes rencontres, à mes peines, à mes joies. Ce que j’ai vécu et ressenti est consigné sur ces pages et, aujourd’hui, je n’en éprouve aucune nostalgie. Je suis arrivé vivant parce que c’était l’objectif que je m’étais fixé. J’ai dévié de la route pour mieux la rejoindre plus loin. Je suis arrivé vivant et un homme changé. Ici commence mon rôle de témoin.

Imitant mes autres camarades, je me suis assis. Alors, mon esprit est tombé dans un puits profond. Et j’y ai trouvé le passé.

LE SURVIVANT - ??? 2016 "La Dernière Route" 4ème partie (épisode #95)

J’ai traversé Grasse de bon matin, abandonnant la route pour me faufiler dans les ruelles de sa vieille ville couvertes de déchets en tous genres. Loin d’être immense, la cité m’est apparu comme un vieillard rabougri et couvert de croûtes, agonisant à flanc de colline. Rien de ce que j’y ai vu ne mérite d’être rapporté ici. Des immeubles et des vieilles pierres dépouillées de leur âme. Du verre brisé. Des cadavres entassés un peu partout. Rien que je n’ai déjà vu ailleurs.
Les heures se ressemblent toutes sous la lumière du Grand Voile. J’ai atteint les limites de la ville à la mi-journée il me semble, mais il n’y a aucun moyen d’en être sûr. Je suis arrivé à la gare et de là, j’ai décidé d’emprunter la voie ferrée jusqu’au bord de mer. La route est plus direct, même si je sais qu’il me faudra à nouveau bifurquer vers l’ouest plus tard. Mais le sable, les rochers et un horizon dégagé me changeront de la campagne mourante.

Je ne serai pas le premier à atteindre mon but. La jeune fille  aveugle est arrivée sur une grande plage de galets s’étendant à perte de vue. Elle s’est assise sur les pierres froides et le mort qui lui servait de guide s’est effondré comme tous les autres de son engeance.
D’autres, comme la petite fille noire et le garçon aux mains écorchés auront terminés leur voyage cette nuit au plus tard.
Au-delà de ce lien, nous commençons tous à en ressentir un nouveau, plus ancien, endormi mais prêt à s’éveiller.

LE SURVIVANT - ??? 2016 "La Dernière Route" 3ème partie (épisode #94)

L’horizon, qui n’était que montagnes et vallées profondes, s’ouvre enfin sur la mer. Depuis les hauteurs, le bleu auquel je m’attendais n’est pas apparu. Rien que du gris. La mer est un corps sans vie, un de plus. Froid, inhospitalier.  Je serais à Grasse avant la fin de l’après-midi et il s’agit de la dernière étape importante avant d’arriver à destination. Je doute que la vue d’une ville, autrefois considérée comme belle, et agréable, la capitale des parfums, et aujourd’hui transformée en cimetière à ciel ouvert, abandonnée et probablement déjà oubliée, ait quoi que ce soit de réconfortant. Mais peu importe. Le réconfort, j’ai fait une croix dessus. 
 
J’ai connu des types qui se baladaient avec une liste de toutes ces choses qu’ils aimeraient faire avant de mourir. Sauter en parachute, voir le grand canyon ou bien des activités un peu plus triviales du genre sauter une prostituée ou se prendre un rail de coke. De nos jours, ce type de liste fonctionne à l’envers. On renonce à tous les petits plaisirs d’avant, juste pour se sentir un peu moins triste. Un ciel étoilé, une brise qui ne charrie pas trop la puanteur des cadavres en décomposition et un repas dont la date d’expiration prouve qu’il est encore comestible, voilà qui suffit à rendre un homme heureux par les temps qui courent.  
 
Jusqu’aux portes de Grasse, la route ne cesse de descendre et de serpenter. Certains endroits et tournants ouvrent sur des ravins qui, la nuit tombée, doivent de remarquables pièges à cons. Le soleil n’est pas le seul à dépérir derrière ce que j’appelle le Grand Voile. La végétation souffre et disparaît petit à petit. Comme sous l’effet d’une pollution accélérée. Les fleurs noircissent et les pins s’affaissent, lâchés par des racines pourrissantes.  
 
Toujours plus de cadavres. Secs comme des momies. Un de ces zombies m’a même fait pitié. Refusant de retourner au néant, toujours animé par la faim, la créature était étendue sur le sol, gémissant faiblement, les yeux fixés vers le ciel, tentant de remuer les lèvres. Je me suis approché de lui et il a tendu sa main vers moi. Suppliant que je lui offre mon aide sous la forme d’un repas. Un dernier repas constitué de mon bras et de ma jambe. Un dernier repas pour le ramener à sa vigueur d’antan et lui permettre d’échapper à son sort d’esclave abandonné. Je me suis agenouillé et je l’ai regardé droit dans les yeux. Mon regard plein de vie plongé dans ses pitoyables yeux rongés par une cataracte jaunâtre. Il y avait un homme autrefois à la place de ce zombie. Un homme fort, avec une volonté sans faille. Homme tenace, zombie tenace. Avec un peu d’imagination, je me suis dit qu’il était sans doute possible de reconstituer sa vie passée, ses rêves, ses tragédies. Un effort vain. Une perte de temps. Je me suis relevé rapidement et j’ai laissé cette chose à son sort.  
 
Par la suite, j’ai croisé d’autres zombies tentés par la résistance. Je n’y ai plus prêté aucune attention. Ils m’ont fait souffrir en prenant la vie de mes amis et j’ai eu ma revanche plus d’une fois. Si on veut penser à notre relation en ces termes, je dirais que nous sommes quittes. Mais ça ne m’oblige pas à les aimer pour autant. Qu’ils finissent par crever ainsi, incapables de bouger, n’est pas pour me déplaire.