Ce fut une étrange journée. Passée sous un soleil de plomb, à ne pas réfléchir, à ne pas ressentir. Je tenais à me reposer. Mais cette torpeur qui s'est emparée de moi avait quelque chose de profondément malsain.
Je me suis réveillé, trempé de sueur, sortant d'un cauchemar que j'ai aussitôt oublié. Je n'en ai gardé que des images et des sons éparpillés. Une mare de sang au pied d'un arbre, le visage serein et joyeux d'un enfant lentement consumé par des flammes, le rire d'une femme.
Le sang. J'en ai gardé le goût dans la bouche. Je me suis mordu la lèvre dans mon sommeil
Il m'a fallu une éternité pour m'extirper de mon lit. Chacun de mes membres semblaient peser une tonne. Le simple fait de relever la tête me donnait envie de vomir. Ce n'était pas une sensation comparable à un lendemain de cuite, loin de là. J'aurais préféré une bonne vieille gueule de bois des familles à ... ça.
Je commence à comprendre le geste de ceux qui se sont suicidés dans le camp. A force de côtoyer les morts-vivants, ça finit par déteindre sur votre humeur. Je ne suis pas très doué pour les métaphores, mais j'ai en tête cette image d'un homme dont arrache l'âme pour la laisser fondre au soleil. Tout ce qui vous entoure commence à perdre sa consistance. Plus rien n'a de goût ou d'odeur. Je me rappelle d'une époque vraiment très proche où l'odeur des zombies m'agressait les narines à chaque seconde. La puanteur de la mort. Je ne les sens même plus aujourd'hui. Ils font partie du décor. Ce sentiment de ... banalité, c'est pire que tout. Avant l'épidémie, on m'aurait parlé de dépression et on m'aurait bourré de pilules.
Lorsque j'ai fini par sortir de la maison qui m'a servi d'abri pour la nuit, j'avais ma machette à la main. Je ne me souvenais même pas l'avoir prise avec moi. Deux zombies se trouvaient très proches de moi. J'ai attendu qu'ils soient très près de moi avant de me défendre. Vivre, mourir. A cet instant précis, je n'en avais strictement plus rien à foutre. Je les ai quand même tué avant qu'il ne puisse me mordre. Mon instinct de survie, véritable parasite, s'est chargé de faire le boulot. Pilotage automatique. Quelques dizaines de secondes plus tard, deux carcasses de zombies, séparés de leur tête, gisaient à mes pieds. J'ai ensuite récupéré mon paquetage et me suis en quête d'eau, la seule chose ayant un quelconque intérêt à mes yeux. J'en ai trouvé dans l'arrière-cour d'un restaurant. Un puit. Comme dans le camp. J'ai prélevé trois bouteilles et j'en ai bu une quatrième.
J'ai passé le reste de l'après-midi affalé sur une chaise longue, à l'ombre d'un parasol (les deux objets "empruntés" au restaurant, comme l'eau), dans la carrière de basalte qui domine le village de Brousse. J'ai lu et relu mon journal, m'efforçant de me rappeler avec précision du visage des personnes que j'ai rencontré depuis que j'ai quitté Paris. Tous ces visages étaient flous ...
Même le visage de Carole semblait manquer de consistance ...
Voyant le soleil décliner, je me suis traîné vers mon précédent refuge et je me suis fait à manger. Un repas froid, un de plus. Je n'ai plus envie de dormir. Demain matin, je partirais d'ici au plus vite. Peut-être même que je vais tout faire partir en fumée avant de reprendre la route. J'hésite encore. Foutre l feu aux lieux que je traverse devient une sale habitude. J'ai peur de finir pyromane.
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