samedi 14 mai 2011

LE SURVIVANT - 14 mai 2014 (épisode #50)

Et à l'ordre succède le chaos. Comme toujours. 
Les flammes ravagent le camp et les morts sont à la fête, gâtés par un festin qu'il n'espéraient peut-être même plus.

Richard Verney n'a pas pu bannir. Ils n'en a pas eu le temps. Il est mort à présent et ses entrailles arrachées par des mains avides et crasseuses se sont répandues sur le sol de son bureau.

Mais je vais un peu vite en besogne. 

Ce ne sont pas des coups de feu, mais de puissantes explosions qui m'ont réveillé cette fois-ci. Les déflagrations, nombreuses et rapprochées, ont fait vibrer les murs de ma cellule. Le soleil n'était pas encore levé. Et à ce moment précis, les morts avaient déjà pris possession des lieux.

Mais je vais encore un peu vite en besogne.

Qui peut se méfier d'un enfant et d'un père (et mari) délirant sur son lit d'infirmerie sous l'effet de puissants antidépresseurs ? Cette erreur aura été fatale. Cette erreur, si peu y auront survécus pour qu'elle puisse servir de leçon. Orphelin déjà bien engagé sur les chemins de la démence après la mort de la presque totalité des membres de sa famille, Mohammed a tissé des liens étroits avec Thomas Ballantini, son père d'adoption. La vérité de Thomas est devenue la vérité du petit Mohammed. Et, lorsque Thomas a basculé à son tour dans la folie, son "fils" l'a suivi sans poser de questions. Ensemble, silencieusement, ils ont planifié leur propre apocalypse, la destruction du camp et des âmes damnées qui y vivaient encore hier. Parce qu'il ne voyait pas d'autres issues, ils ont eux mêmes ouverts en grand les portes de l'enfer. Thomas a fait de Mohammed l'instrument du châtiment. Un adulte, fou de douleur, consumé, a fait d'un enfant sans repères son complice,. 

Ils ont procédé par étapes.

Une seule personne gardait Thomas Ballantini. L'infirmière Gueydan. Le petit Mohammed l'a violemment égorgée avant de libérer Thomas. Je le sais car j'ai vu le corps de l'infirmière. Le couteau a tranché dans la chair de sa gorge si profondément que sa tête était presque détachée, formant un angle impossible avec ce corps baignant dans une mare de sang. Chacun de leur côté, ils ont mis en route une machine impeccable. Avant que l'alerte ne puisse être sonnée, ils se sont d'abord assurés de pouvoir faire entrer les zombies dans le camp. Deux soldats uniquement gardaient l'entrée. Lesquels ? Vu ce qu'il reste d'eux, c'est sans importance maintenant. Thomas les a assassinés à l'arme blanche, sans bruits. Ils ne s'y attendaient sûrement pas. Pendant que Thomas ouvraient la grille, Mohammed ouvraient tous les autres accès du camp endormi. Les zombies se sont répandus dans la cour petit à petit. Pas plus de vingt minutes auront été nécessaires, à mon avis. Et après ça, le feu d'artifices. Soit dans le bureau de l'infirmière, soit sur les deux soldats, Thomas et son petit assistant ont mis la main sur les clés ouvrant la réserve et l'armurerie. Il y avait là quantité d'explosifs. Une dizaine de caisses de grenades. Mohammed a récupéré un sac de grenades et en a balancée aux quatre coins du camp. La première série d'explosions. Quant à Thomas, il a pris les commandes du blindé et il l'a conduit dans l'armurerie avant de se faire exploser avec. L'onde de choc a été stupéfiante. Les dégâts irréversibles. Je ne pouvais rien voir mais comment pouvait-il en être autrement ? Lorsque les soldats et les civils sont sortis de leur torpeur, il était trop tard. Les premiers coups de feu ont retenti, les cris d'horreurs se sont mêlés au vacarme ambiant. J'ai entendu un cri de femme et un cri d'enfant. Christine et son fils. Je me suis imaginé la mère et son enfant sortant de leur chambre, paniqués, seulement pour trouver quelques zombies affamés sur leur chemin. J'ai aussi entendu les hurlements de Verney, suivi de plusieurs nouveaux coups de feu et d'une explosion. Mohammed a lancé sa dernière grenade avant de s'effondrer sous les balles du capitaine.
Et je suis resté dans ma cellule. J'ai pris mon sac à dos et le couteau que Mohammed m'avait laissé quelques heures plus tôt, prêt à tout. J'ai attendu la mort et le salut, sans savoir ce qui se présenterait en premier.

Je ne m'attendais pas à attendre aussi longtemps. Les coups de feu se sont espacés puis se sont tus. Puis, ce furent les cris. Ne restaient que les crépitements des différents incendies ravageant les bâtiments.
Le jour s'est levée sur le camp dans un silence de mort. Dans une odeur d'essence, de plastique et de chair brûlée.
Les zombies ne sont pas venus me chercher. 
Richard Verney n'est pas venu me chercher.
Putain, personne n'est venu me chercher.

Deux autres heures se sont écoulés. Peut-être plus, peut-être moins. Impossible à dire. Enfin, j'ai entendu du mouvement. La cavalerie. Les seuls survivants. Le soldat Deschain, fusil mitrailleur à la main et la vieille dame, Josée Nasseran. Ils se sont présentés devant moi, couverts de sang. Deschain a fait sauté la serrure de la cellule et j'ai retrouvé ma liberté. "Faut pas traîner." m'a t-il lâché dans un souffle, avant de me tendre un flingue. Je me suis tourné vers Josée qui se cramponnait à une hache bien trop grande pour elle, une hache dégoulinant de sang, de cervelles et d'un tas d'autres choses. Elle m'a lancé un long regard et là, j'ai compris. Tous les autres se sont fait tués. Tous sans la moindre exception. Femmes, enfants, soldats. Dévorés, abattus, suicidés, brûlés. Nous sommes sortis dans la cour qui ressemblait à un vaste champ de bataille. Il y avait encore un bon nombre de zombies mais la plupart étaient encore occupés à manger. J'ai vu que l'un d'eux tenait la tête de Kader dans sa main, grignotant la chair de ses joues. J'en ai vu trois autres dépouillant la carcasse à moitiée calcinée du caporal Salina. Il y a avait d'autres cadavres mais je ne les ai pas reconnu.
Il nous fallait quitter le camp mais non sans avoir récupéré autant d'armes et de vivres que possible. Nous avons progressé en groupe. Nous avons tué le moindre zombie qui s'approchait. 
Dans l'infirmerie, nous avons pris quelques médicaments et vu le cadavre de l'infirmière.
Dans la cantine nous avons mis la main sur quelques conserves et nous avons achevés David Morrison qui agonisait d'une dizaine de morsures différentes. 
Dans le bureau de Verney, il n'y avait que quelques chargeurs (ce qui est mieux que rien) et le capitaine en personne, mort. Il s'était suicidé, se faisant sauter le caisson pendant que des dizaines de morts-vivants le taillaient en pièce. Son visage était encore reconnaissable mais le reste de son illustre personne était éparpillé un peu partout, ignoble bouillie sanglante. J'aurais bien voulu lui cracher à la gueule, histoire de m'acquitter de ma vengeance, mais je n'avais plus de salive.


Nous sommes partis, à pied. La bataille pour quitter l'enceinte ne fut pas aussi rude que je m'y attendais mais ça n'aurait peut-être pas était la même chose si nous avions attendus que les zombies terminent leur festin. Nous en avons tué un bon nombre et la vieille dame a fait sa part du boulot, levant puis abattant sa hache. J'étais persuadé qu'elle claquerait d'une crise cardiaque avant d'en avoir tué cinq. Heureusement pour elle, ce ne fut pas le cas. Coriace, la mémé.

Nous sommes partis vers l'est et avons atteint un refuge avant la nuit. Une maison abandonnée. Petite, pas très confortable mais sûre. Nous avons partagé un maigre repas, plus par nécessité que par envie. Sans dire un mot. Pour la première fois depuis longtemps, j'ai pris la parole. Ma gorge me faisait mal et j'avais la voix d'un vieux corbeau qui aurait beaucoup trop fumé de cigarettes, mais les mots ont pu sortir. Je leur ai dit ce que j'avais entendu et puis j'ai demandé à Deschain ce qui s'était passé. Il a comblé quelques vides mais pas tant que ça. Il a vu Verney abattre le petit Mohammed en vidant un chargeur de mitraillette. Il a vu le gamin sourire. Puis tout est parti en couilles à la vitesse de la lumière. Il y a bien eu une vague tentative d'organisation pour repousser les zombies mais la tactique a fait long feu et le chacun pour soi s'est vite imposé. Deschain a vite compris la futilité de la fusillade et est parti se réfugier en haut de la tour de guet, récupérant Josée au passage. Ils ont attendus que la situation se calme avant de redescendre. Mon sauvetage n'était pas en haut de la liste de leurs priorités mais ils sont quand même venu, estimant que si j'étais encore en vie dans ma cellule, autant que je me rende utile. Un bras armé de plus pour parvenir à s'échapper.

Je suis encore en vie.
Je suis toujours en vie.
Je suis un survivant.

Dans ce camp militaire en feu, où j'ai vécu plus d'un mois, mes démons ont pris la décision de ne pas me suivre. Qu'ils y pourrissent avec les cadavres de mes amis, de mes ennemis et des étrangers qui ont partagés mes espoirs et mes craintes. 

J'ignore de quoi demain sera fait. Zombies ou pas, ça, ça n'a pas changé. Mais il est temps que je reprenne la route, sans tarder.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire