mercredi 11 mai 2011

LE CINEMA AMERICAIN DES ANNEES 80 #43 - LES GRIFFES DE LA NUIT

Réalisé par Wes Craven - Sortie US le 9 novembre 1984 - Titre original : A Nightmare on Elm Street.
Scénario : Wes Craven.
Musique : Charles Bernstein.
Directeur de la photographie : Jacques Haitkin.
Avec Heather Langenkamp (Nancy Thompson), Robert Englund (Freddy Krueger), John Saxon (Lt. Don Thompson), Ronnie Blakley (Marge Thompson), Amanda Wyss (Tina Gray), Nick Corri (Rod Lane), Johnny Depp (Glen Lantz), ...
Durée : 91 mn.
La jeune Nancy et ses amis sont en proie à de violents cauchemars où un homme au visage horriblement brûlé, au pull rayé et à la main pourvue de griffes tranchantes les pourchassent inlassablement, ...


Par deux fois auparavant, Wes Craven a traumatisé les afficionados de péloches horrifiques. Avec de pures bombes jusqu'au boutistes s'inscrivant directement dans leur décennie, les 70's. J'ai nommé LA DERNIÈRE aMAISON SUR LA GAUCHE (1972) et LA COLLINE A DES YEUX (1977). Mais, comparé à ses GRIFFES DE LA NUIT, ces précédents coups d'éclats manquent clairement d'envergure et de maîtrise. C'est en professionnel aguerri, en pleine possession de ses moyens, que Wes Craven lâche son croquemitaine griffu, le mythique Freddy Krueger, à l'assaut des salles obscures. C'est aussi le début d'une franchise excessivement lucrative, s'inscrivant à la fois dans la populaire mouvance du slasher mais également dans la tradition d'un cinéma fantastique plus classique où la frontière entre le cauchemar et la réalité se confondent.
A l'origine se trouve un fait divers. La mort d'un jeune Hmong (ethnie issue de l'Asie du sud est) dans son sommeil, persuadé que ses cauchemars représentaient une menace tout à fait réelle. Combiné à des souvenirs d'enfance (Craven fur le souffre douleur d'une brute nommée ... Fred Krueger !), le cinéaste en tire un concept fort : dormir peut tuer. Et ce concept, il l'adapte à un genre alors en vogue, le slasher, dont les plus illustres représentants sont HALLOWEEN et VENDREDI 13. D'où le groupe d'adolescents affrontant un tueur indestructible et insaisissable, le bodycount rythmant la narration, le lourd secret à l'origine de la tuerie et la virginale héroïne transformée en ultime (et coriace !) survivante. Là où Craven se distingue nettement, c'est en racontant son histoire sur deux niveaux de réalité parallèles qui finissent toujours par se croiser et en faisant de son grand méchant un tueur bavard, obscène et porté sur l'humour noir, en lieu et place du psychokiller monolithique alors de rigueur. Si Michael Myers et Jason Voorhees sont les descendants de la créature de Frankenstein et du Loup-Garou, alors Freddy Krueger est l'héritier du Comte Dracula et du Fantôme de l'Opéra, mais aussi du Docteur Phibes et du Krug (!) de LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE.
Libéré du poids de la réalité, chaque scène de meurtre rivalise d'inventivité avec la précédente. L'onirisme offre à Wes Craven l'opportunité de peindre des tableaux sanglants inspirés, malsains et mémorables. Eventrée par un coup de griffes bien placée, la jeune Tina est traînée au plafond de sa chambre comme une vulgaire poupée désarticulée. Glen, interprété par le débutant Johnny Depp, est quant à lui aspiré par son propre lit avant d'être recraché dans un geyser d'hémoglobine sous les yeux de ses parents. Pour parvenir à un impact maximum, Craven met en scène ces idées folles dans un cadre réaliste, crédible. 
C'est là toute la force des GRIFFES DE LA NUIT. Le cauchemar pervertit la réalité et la réalité contamine le cauchemar. La mise en scène, le montage et la photographie, des artifices purement cinématographiques employés avec une habileté hors du commun, participent de cette perte progressive et totales de repères. Deux exemples frappant me viennent à l'esprit. Il y a d'abord ce plan, intervenant très tôt dans l'histoire, où, lors d'un simple panoramique, l'image bascule d'un ralenti onirique à un plan large d'introduction à vitesse normale. Plus loin, alors que l'héroïne prend un bain, celle-ci s'endort et, au premier plan, le gant pourvu de griffes d'acier de Freddy Krueger surgit brusquement. Liés au sein d'un seul et même plan, sans coupes, la réalité et le cauchemar coexistent physiquement dans le même espace. Simple comme bonjour. Encore fallait-il y penser ! 


 Artisan de la peur, parmi les plus doués et pragmatiques de l'histoire du cinéma, Wes Craven joue ici, comme avec LA DERNIÈRE MAISON ... et LA COLLINE A DES YEUX, sur des angoisses tangibles, profondément ancrées dans la psyché humaine. La peur du noir. La peur de perdre le contrôle de soi. La peur d'être à la merci d'un prédateur sans avoir d'issues possibles. Pour accentuer encore un peu plus ces terreurs qui remontent à l'aube de l'humanité, le réalisateur/scénariste a choisi de faire de l'arme de prédilection de son psychopathe un symbole de menace primitive et animale, des griffes. Et, comme si ce n'était toujours pas suffisant, Krueger, en plus d'être une menace physique, se révèle aussi être une menace sexuelle, à grands renforts de jeux de langues concupiscents et de sous-entendus libidineux. 


Dès sa sortie, LES GRIFFES DE LA NUIT a acquis le statut envié et pleinement mérité de classique du film d'horreur. Jamais égalé par ses nombreuses suites (et encore moins par le récent et pathétique remake), le long-métrage de Wes Craven est la preuve indiscutable que la peur au cinéma ne saurait se réduire à une poignée d'effets chocs et de stéréotypes. Sans ses ambitions, sans une intelligence féroce, le genre n'est rien.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire