Les évènements prennent une tournure de plus en plus dégueulasse.Je suis surveillé mais ça n'est pas tout. De la drogue dans mon café. Un sédatif plutôt léger mais au goût impossible à confondre. Le docteur Denoy me l'avait administré plus d'une fois pour soigner ma blessure par balle. L'un des effets secondaires de ce sédatif est la perte de l'équilibre. Sans prévenir, vous vous mettez à tituber comme un alcoolique. Je n'ai bu qu'une gorgée de mon café avant de découvrir le pot aux roses. Une ruse pitoyable signée de l'infirmière Gueydan. A moins que ce ne soit Verney qui lui ait soufflé l'idée. Tant pis pour ma dose de caféine quotidienne. Il va falloir faire une croix dessus pour le moment. Putain de merde ! Il faudra sans doute que je fasse attention à ce que je mange également. Christine ne me lâche pas une seule seconde. J'ai l'impression d'être un chien que l'on promène et que l'on surveille pour s'assurer que je ne fasse pas de bêtises, que je ne morde personne sur un coup de folie. Si je baisse mon pantalon et que je chie au beau milieu de la cour, est-ce que Christine viendra ramasser ma merde avec un sac plastique ?
Une autre règle m'est imposée. Plus de travail, plus de potager. Je suis un danger et donc je ne sers plus à rien. Ironiquement, certains doivent croire que je pourrais empoisonner la nourriture. Sinon, pourquoi m'interdire l'accès au potager ou à la réserve ?
A l'extérieur, l'afflux de zombies a repris. La procession est lente mais, si les militaires n'ouvrent pas le feu un peu plus souvent, le camp sera fortement encerclé d'ici deux jours, peut-être trois. J'ai passé l'immense majorité de la journée à observer les zombies. Après tout ce temps, je ne pensais pas qu'il y aurait toujours autant de "nouveaux" zombies. Par nouveaux, il faut comprendre "frais", "récemment ressuscités". Il y a les vieux de la vieille, à la décomposition avancée, à la peau d'un gris cendre et au sang noir comme du goudron et aux yeux bouffés par la cataracte. Et puis, il y a les petits jeunes avec leur teint violacé, leur sang encore bien rouge qui s'écoule lentement, presque imperceptiblement de leurs blessures (puisque le cœur, à l'arrêt total, ne pompe plus la moindre goutte). Les "nouveaux" se déplacent également plus vite, moins ralentis par leur rigidité cadavérique encore légère. Les "nouveaux" et les "anciens" ne se mélangent pas beaucoup, formant des groupes parfois bien distincts. Un résidu de leur instinct social.
Mais ça n'est pas tout. Une troisième catégorie de zombie a fait son apparition. Et ils m'inquiètent plus encore que les autres. Ceux-là se servent d'objets. Je les appelle les "cro-magnons". Certains ont des bouts de bâton, des cordes, des instruments, des tuyaux. De tout et de n'importe quoi. Les avaient-ils à la main avant de mourir ou bien les ont-ils ramassés au cours de leur périple ? Je penche pour la seconde option. Et si je ne me trompe pas, ils n'hésiteront pas à s'en servir. Pour assommer leurs proies, défoncer une fenêtre ou une porte. Seul, un zombie n'a pas beaucoup de forces ... mais à plusieurs, les "cro-magnons" peuvent se révéler extrêmement dangereux ...
Je ne pense pas être le seul à avoir remarqué les "cro-magnons" mais pas un soldat ne semblent s'en inquiéter. Personne ne s'inquiète de ce qui se passe à l'extérieur du camp puisque le danger est à l'intérieur.
Avant de rejoindre le soldat Deschain et mon journal, je me suis arrêté à l'infirmerie, pour rendre visite à l'autre fou de ce camp, le pauvre Thomas. Mais il avait déjà un invité, le petit Mohammed, l'orphelin au regard froid et énigmatique. Sans doute est-il aussi fou que Thomas et moi. Ou aussi lucide. Il était penché sur Thomas et ce dernier lui parlait à l'oreille. Puis le gamin a pris congé de Thomas et est passé à côté de moi sans même me dire bonjour ou remarquer ma présence. Puis, Thomas a tourné son regard sur moi et ce que j'ai vu dans ses yeux m'a rappelé Tissier, sans que je puisse vraiment savoir pourquoi. Quelque chose d'horrible.
Verney a punaisé toute une série de règlements, écrits à la main, à l'intérieur du dortoir des civils. Couvre-feu, interdiction d'alcool, de fumer, de nourriture dans les chambres, de dissimuler la moindre arme, etc ... On se croirait dans une colonie de vacances dirigée par un nazi. "La Colonie de l'Enfer". Un bon titre pour un film, non ? Putain, ce que ça me manque de regarder des films. Ceux qui vous disent qu'ils n'ont même plus le temps de penser à tous ces petits conforts de notre vie d'avant, que seul la survie les préoccupe, ceux-là vous mentent. La télévision, les jeux vidéos, le téléphone portable, les vacances, les ballades, les restaurants, les livraisons de pizzas, les matchs de foot, toutes ces choses, futiles en apparence, faisaient partie intégrante de nos vies. L'épidémie zombie nous a pris toutes ces choses. C'est un peu comme un bras ou une jambe qu'on vous arrache. On n'arrête pas d'y penser.
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