Je ne crois pas en Dieu.
Je ne crois pas en Satan, ou quelque soit le nom que l'on veut bien lui donner.
Mais je crois aux fantômes.
Pierre et "l'autre" sont morts. Précipités dans l'abîme. 95 mètres de chute libre. J'ai vu leurs corps fracassés contre les parois et engloutis par la rivière.
Ils étaient les deux faces d'une même pièce. Des frères jumeaux. Pierre et Matthieu.
Je me suis réveillé avec une corde autour du cou, suspendu par un système de poulie à mi-chemin entre le vide et une corniche, le contact de l'acier tranchant sur ma chair nue, une odeur de terre humide emplissant mes narines, le tumulte de la rivière souterraine et les sanglots de Pierre, recroquevillé contre la paroi rocheuse, la tête baissée comme un gamin qui vient de faire une très très grosse connerie.
"Bonjour, mon joli. Je m'appelle Matthieu et voici mon frère, Pierre. Je suis sûr que tu as très bon goût." C'est ainsi que "l'autre" fit les présentations.
Je ne me suis rendu compte de rien. Je me suis endormi sans même le savoir. Peut-être que Pierre avait drogué mon café, c'est l'hypothèse la plus probable. Mais comment en être sûr ? Matthieu, "l'autre", m'avait dépouillé de mes vêtements et les cordages me lacéraient les chairs. Je pouvais à peine bouger.
Pierre et Matthieu sont physiquement identiques. L'un n'apparaît pas plus grand ou plus fort ou plus sauvage que l'autre. Les différences sont subtiles. Le ton de la voix, la façon de bouger. Si je devais les comparer à des animaux, je dirais que Pierre est un serpent er Matthieu un alligator.
"C'est un morceau de choix. C'est un morceau de choix. C'est un morceau de choix. Merci, mon frère." dit Matthieu en faisant danser la lame de son large couteau de chasse sur ma cuisse. Ainsi devait fonctionner leur petit duo : le rabatteur et le chasseur.
"Arrêtes de pleurnicher, mon frère. Il est à nous. Comme les autres avant lui. Comme tous ceux qui traverseront notre réserve. Rien n'a changé. Rien ne changera jamais. Nous prenons soin de nous." dit-il encore à Pierre qui restait prostré.
"Celui-ci, tu as mis du temps à me le livrer. Pourquoi ? Encore cette salope ? Elle n'existe pas !"
"Si. Elle existe. Elle ne veut pas qui lui arrive du mal. Tu dois le libérer." La voix de Pierre était faible, si faible.
"La salope n'existe pas. ELLE ... N'EXISTE ... PAS !!!"
Matthieu me fit alors une entaille sur le mollet et se mit à lécher la plaie, ricanant.
Il s'est alors passé quelque chose d'étrange. Quelque chose que je ne veux pas tenter d'expliquer. Se tenant debout derrière Pierre, s'approchant avec assurance, elle était bel et bien là. Carole. Par le spectre pourrissant venu me hanter il n'y pas si longtemps. Non. Carole, resplendissante, vivante. Elle posa sa main sur l'épaule de Pierre, se pencha et lui parla à l'oreille. Ce qu'elle lui dit me parvint : "Tu vas le laisser te parler comme ça ? Tu n'es pas comme lui. Tu as promis." Matthieu, lui, ne bougeait pas, fixant son frère, soudain pétrifié. Avec une souplesse et une rapidité inhumaine, Pierre s'est alors relevé et s'est jeté sur son frère, tirant sa propre lame du fourreau fixé à sa taille, la plongeant dans le ventre de son frère, encore et encore. Celui-ci ne s'est pas laissé faire, plantant son couteau dans la jambe de Pierre, sectionnant l'artère fémorale, avant de finir par s'écrouler à terre. Titubant, il s'approcha de la paroi et des cordages, défit un nœud et je m'écrasa lourdement sur le sol de pierre. Lorsque je me relevais, Carole n'était plus là. "J'ai tenu ma promesse." me dit Pierre dans un sourire, son visage de plus en plus pâle, le sang s'écoulant abondamment de sa plaie. Mais Matthieu n'était pas encore mort. Il se précipita vers moi. Pierre s'interposa et se jeta dans le vide, entraînant son frère jumeau avec lui, sans un cri.
Je suis resté là un bon moment, à tenter de reprendre mon souffle, de retrouver mes esprits. Je ne sais pas combien de temps il s'est écoulé. Une heure ? Deux ? Une journée ?
J'ai fini par me rhabiller et j'ai récupéré mes affaires; Je me suis relevé et j'ai pris le chemin en sens inverse pour sortir de l'abime, remontant vers la lumière. Je me suis retrouvé dans les sous-bois de la veille. Au soleil, il devait être à peu près midi. Je me suis remis en chemin, tant bien que mal, contournant l'abime et retournant vers le village.
Puis, plus rien. Le néant, à nouveau.
Je me suis à nouveau réveillé, avec un mal de crâne horrible. Je me suis forcé à manger et à boire. Le village n'est pas loin, mais je dormirais ici cette nuit, contre un gros rocher. J'y verrais plus clair demain.
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