Que je tienne un journal n'est un secret pour personne dans le camp. Aussi intimes que soient les pensées et les observations que j'y inscris, certains ont déjà exprimés l'envie d'y jeter un œil. Indiscrète de nature, Christine avait plus d'une fois insisté auprès de Carole pour qu'elle le lui fasse lire en douce, mais elle avait systématiquement essuyé un refus. Les frères Bonnal l'ont quant à eux évoqués en plaisantant, alors qu'il tirait une dernière taffe de leur tout dernier joint, avant épuisement définit de leur stock personnel. Josée et Christian, joueurs de belote aussi discrets que talentueux, m'avaient conseillé, au détour d'une partie, de laisser tomber cette occupation "fastidieuse et inutile". Enfin, j'ai déjà surpris une fois le jeune Mohammed, orphelin taciturne, en train de le feuilleter (comment avait t-il découvert ma cachette, je l'ignore). Sans être le Saint Graal, mon journal a suscité quelques convoitises dans cette routine quoitidienne, entre deuils, ennui et corvées, qui est la nôtre.
Ce matin, le capitaine Richard Verney a fini par mettre la main dessus. Il me l'a volé avant de finir par me le restituer en fin d'après-midi. Non sans en avoir lu et relu la moindre page. Non sans un avertissement.
Avant de continuer mon récit des évènements de cette journée, permettez-moi de faire une parenthèse.
Ce qui suit est une biographie concise (un résumé si vous préférez) de la vie de Richard Verney, sergent chef puis capitaine du camp militaire où survivent ceux qui continuent d'échapper à l'épidémie zombie. A défaut d'être exhaustif, je peux vous promettre que c'est instructif.
Originaire de Normandie (il est né à Rouen), Richard Verney est fils et petit-fils de militaire, et neveu d'un député européen élu sous bannière Front National (avant de finir l'année dernière en garde à vue pour incitation à la haine raciale et tentative de meurtre). Une tradition familiale. Il a fait toutes ses études à l'école nationale des sous-officiers d'active après un parcours scolaire laborieux. La devise de l'endroit est "S'élever par l'effort". Verney ne s'est pas élevé, mais il a survécu et il a terminé son cursus avant de partir se spécialiser dans l'ABC, l'Arme Blindée de Cavalerie, une branche de l'armée de terre. C'est en tant que sergent-chef qu'il a rejoint le 12ème régiment de cuirassiers à Olivet en 2011, dans le Loiret. C'est un régiment qu'il intègre avec l'ambition de devenir Colonel. Pendant les trois années qui suivirent, toutes les promotions lui échappèrent et son caractère, impulsif et animé par la rancœur, en fit l'un des sous-officiers les plus méprisé et détesté du régiment. Malgré les moqueries, malgré les avertissements et les propositions de mutations, Verney s'est accroché au 12ème RC, convaincu qu'il finirait bien par atteindre ses objectifs, que son moment viendrait. Lorsque le 12ème RC fut mobilisé pour intervenir dans l'évacuation d'Orléans. Au premier soir de la débâcle, on raconte qu'il s'endormit à son poste et que, par sa faute, quatre membre de son unité furent taillées en pièces par des zombies. Le lendemain, alors que le chaos s'intensifiait, l'officier qui menaçait de le rétrograder pour sa bourde fut tué dans une fusillade avec des réfugiés armés et paniqués, en plein milieu d'une attaque d'une horde de zombies. Le caporal Salia et le soldat Péan, les seuls autres survivants du 12ème RC, finirent par convaincre le sergeant-chef Verney de rejoindre avec leur blindé (oui, LE blindé) la troupe en fuite du capitaine Thibault pour rejoindre le camp qui nous abritent aujourd'hui. Et, pendant tout le parcours, Verney ne s'est pas privé d'afficher son hostilité envers Thibault, contestant dans son dos la moindre décision.
J'ai glané toutes ces informations de plusieurs sources, au cours de mes premiers jours dans le camp. Certaines proviennent de feu le capitaine Thibault en personne.
Je ne suis pas psychiatre. Je vous laisse tirer les conclusions de ce parcours professionnel. Mais pour moi, c'est assez clair. La position dans laquelle Richard Verney se trouve aujourd'hui est une bénédiction pour ce militaire médiocre et bouffi d'ambition. Ce qui le rend d'autant plus dangereux. Comme un molosse auquel on tenterait de subtiliser un os particulièrement savoureux.
J'ai constaté la disparition du journal en revenant me changer avant le repas du midi. Un autre cahier, vierge, avait été laissé à sa place, dans mon sac à dos. C'est sur ce cahier que j'écris désormais et je vais m'assurer de lui trouver une cachette plus élaborée.
Après le repas, Verney m'a fait convoquer dans son bureau. Vous connaissez ces histoires sur ces prisonniers interrogés à grands coups d'annuaires dans la gueule pour ne pas laisser de traces ? Vous pouvez me croire sur parole, la méthode fonctionne. Si ce n'est qu'on ne m'a pas beaucoup posé de questions. Les menaces, elles, ont fusé. Je n'ai rien dit. Je n'ai pas parlé. Après tout, mon journal parle pour moi. Verney m'a prévenu qu'il se servirait des informations tirées du journal pour me faire bannir du camp ou même exécuter si je tentais quoi que ce soit contre lui. Mais j'ai comme l'impression qu'il n'attendra pas jusque là. Il trouvera bien une raison de m'éliminer de l'équation.
J'ai une semaine devant moi, peut-être deux. Après ça, il me faudra agir. Et vite.
Reste à définir une stratégie ...
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