vendredi 8 avril 2011

LE SURVIVANT - 8 AVRIL 2014

J'ai eu raison de me méfier d'elle. Cette fille n'était pas seulement "étrange" mais folle à lier. Mes mains tremblent encore alors que j'écris ces mots. 
Voici ce qui s'est passé. Toute l'histoire.

Sandrine m'a réveillé très tôt. Trop tôt. Elle était nerveuse, agitée. La veille, elle avait pris son tour de garde en se postant sur le toit de l'autobus, sa vieille couverture miteuse sur les épaules et son fusil à la crosse couverte de sang séché à la main. 
Elle m'a secoué comme un chiffonnier pour me sortir de mon sommeil. "J'ai vu de la lumière ! Il y a des survivants, d'autres survivants !" qu'elle n'arrêtait pas de me dire. Elle avait vu de la lumière, comme des phares de voitures très puissants ou des projecteurs, venir de derrière la colline à l'ouest, pas loin. Sur le moment, je me suis pas trop posé de questions. La nouvelle était suffisamment excitante pour s"habiller en un temps record et sauter le petit déj". Après nous être débarrassé des trois zombies qui s'était un peu trop approché du bus, nous nous sommes mis en route, pressant le pas. Je l'ai suivi. 
De l'autre côté de cette colline donc, il y avait une ferme. Grande, bien entretenue. Avec grange, tracteur et tout le toutim. De loin, ça semblait pas vraiment habité. Propre mais trop silencieux. Abandonné très récemment peut-être. Ou alors, ces "autres" nous avaient entendu arriver et se cachaient. Sandrine en tête, nous nous sommes approchés. La grille à l'entrée était ouverte. Dans la cour, nous avons un peu ralenti l'allure. Elle a fourré sa main dans sa poche, pour tripoter son fétiche mystérieux à la con et puis elle a stoppé net. Là, elle a suggéré que l'on se sépare. Elle irait dans la grange et moi je me chargerais du bâtiment principal. J'ai un peu tiqué sur le moment, mais je me suis quand même exécuté. Après tout, pourquoi pas ? Chacun dans son coin, on explorerait la zone plus vite. Et puis, sans elle dans les pattes je me suis dit que ce serait plus tranquille. Sa nervosité commençait à être contagieuse. 
J'ai d'abord fait un tour du bâtiment. Je suis tombé sur le groupe électrogène. Réservoir rempli au deux tiers. L'histoire de la lumière gagnait en crédibilité. Il y avait des projecteurs muraux tout autour du bâtiment. Seulement, si j'avais posé la main sur le groupe électrogène, je me serai rendu compte qu'il était froid, qu'il n'avait pas servi depuis un bout de temps. 
Puis je suis entré par une petite porte à l'arrière, donnant sur une cuisine. Même topo à l'intérieur qu'à l'extérieur. Tout bien propre, bien rangé. Mais pas un bruit. J'ai ouvert un placard. Quelques paquets de pâtes, riz et semoules. Des biscuits secs. J'en ai piqué un. J'ai jamais été un fan des petits beurres mais là, j'ai pas su résister. En voulant reposer la boîte, j'ai pas fait bien gaffe et elle est tombée par terre. C'est en la ramassant que j'ai entendu les gémissements. 
Des zombies. Des putains de zombies. Autant les buter. C'est ce que je me suis dit sur le moment. Je suis remonté lentement, prudemment, jusqu'à la source du bruit. En plus des gémissements, j'ai même pu distinguer un bruit ... métallique. J'ai traversé un couloir et je suis arrivé dans le salon. Propre, rangé. Encore. Puis je suis arrivé devant une porte. Le cellier. J'ai ouvert et la lumière du jour s'y est suffisamment engouffrée pour que je puisse distinguer les deux zombies, l'un plus grand que l'autre, enchaînés tous les deux au mur du fond.
Je ne l'avais pas entendu se glisser derrière moi. Ce que j'ai entendu juste à temps, c'est le sifflement de la crosse fendant les airs. J'ai tout juste eu le temps de me retourner et de placer mes mains en avant pour me protéger. Le coup s'est écrasé contre mes paumes. Je vais avoir un bleu impressionnant demain. J'ai pu me jeter sur elle avant qu'elle ne lance un deuxième coup. J'ai pesé sur elle de tout mon poids et nous sommes tombés à la renverse. Même le souffle coupé, elle s'est débattu et j'ai pas eu d'autres choix que de l'assommer pour le compte, utilisant sa foutue crosse contre elle.
Je l'ai traîné dans le salon, et je l'ai mise sur le canapé. J'en ai profité pour fouiller dans ses poches et j'en ai sorti son fétiche. Un doigt coupé, pourri. Avec une alliance. Après l'avoir solidement attachée avec une corde trouvée dans un bahut du salon, je suis retourné à la cave. Il manquait l'annulaire gauche du plus grand des deux zombies.

A son réveil, elle m'a enfin raconté. Comment elle n'a pas pu se résoudre à abattre son mari et son gosse après qu'ils se soient transformés. Comment elle a décidé de les nourrir parce qu'elle les "aime plus que tout". Comment les premiers jours, elle a attiré ses plus proches voisins, mais aussi des quidams fuyant via l'autoroute, jusque dans sa ferme pour les livrer en pâture à sa famille. Et puis, comment, à court de victimes, elle a pris la toute pour chercher ... enfin, vous avez compris. Elle m'a trouvé moi. Elle m'a raconté une histoire vague et elle m'a couillonné. Ou presque. 
Quand elle a terminé son récit, je l'ai prise par le bras, je l'ai relevé et je l'ai traîné jusqu'à la cave. Elle a pigé mais elle n'a pas lutté. Ce que j'ai fait ensuite, je ne l'ai pas fait par vengeance, par justice, ou par colère. Mais par pitié. Pour mettre fin à cette folie. Je l'ai enfermé dans la cave avec ces morts-vivants, sa famille. Je me suis assis et adossé contre la porte et j'ai attendu et j'ai écouté. Je les ai entendu la mettre en pièce. Mais elle n'a pas crié. C'était ce qu'elle voulait, je crois.
Au bout d'un moment (combien de temps ?), je me suis levé, j'ai récupéré ce qui pouvait être utile et je suis parti. J'ai pensé mettre le feu mais, après mon appartement, je n'ai pas vraiment envie de virer pyromane. Si quelqu'un tombe sur cet endroit, je lui en laisse le soin. 

Aujourd'hui, j'ai commis un meurtre, un VRAI meurtre. J'ai fait ce que je devais faire, pour survivre mais pas seulement. Je n'ai aucun remords. Je ne demande pas le pardon. Mais je sais encore faire la différence entre le Bien et le Mal. Ce que j'ai fait, j'en ai la certitude, ce n'est ni Bien, ni Mal. Je suis devenu comme un funambule, je me tiens en équilibre entre ces deux notions. Je ne suis pas fou.

Je ne suis pas fou.

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