mardi 26 avril 2011

LE SURVIVANT - 26 avril 2014

L'entraînement au tir a repris aujourd'hui. Pas comme si rien ne s'était passé, mais pas loin. Démontage des armes, nettoyage, remontage. Tir sur cible classique suivi d'un exercice en situation réelle. Carole a insisté pour prendre la place laissée vacante par Roman. Je ne m'y suis pas opposé, au contraire du sergent-chef Verney et des soldats Duroche, Péan et Burdeau. Ils ont protesté vivement, tentant d'enrober leur point de vue sexiste et archaïque derrière un "bon sens" qui ne tient pas debout.Thibault et le caporal Larivière ont eu le dernier mot, heureusement. Il faut en profiter, je ne pense pas que ce sera toujours le cas. 
Sans aller jusqu'à parler d'un don, Carole sait se servir d'une arme à feu comme peu de gens ici. Je continue de m'améliorer mais je n'aurais jamais ses aptitudes. 

Le repas de midi est sur le point de devenir une routine de plus en plus déprimante. Chaque petit groupe reste dans son coin. Personne ne se parle ou ne se regarde dans les yeux. J'ai préféré prendre mon assiette et je suis allé manger dehors, à l'ombre. Le bar est supposé rouvrir ce soir mais si c'est pour supporter la même ambiance, ce sera sans moins. Je ne m'attends pas à ce que tout le monde fasse la fête, non. Mais le malaise qui s'installe est plus profond que les décès de ces derniers jours. Il y a de la peur et il y a de la méfiance. 
J'ai passé le reste de la journée avec le docteur Denoy, pour l'aider. L'infirmière Gueydan s'est faîte porter pâle. L'infirmerie est vide, alors nous nous sommes contentés de ranger et de nettoyer. Il y avait encore quelques traces de sang sur le sol. Le sang de Mélanie. Je ne connais pas les origines de ce fameux test de psychiatre, le test de Rorschach. Je me trompe sûrement mais je me demande si ça n'a pas commencé par des taches de sang plutôt que par des tâches d'encre. Fixez une tâche de sang suffisamment longtemps et vous pourrez y voir tout ce que vous voudrez. Agenouillé, l'éponge à la main, j'ai fixé la plus grosse des tâches et j'y ai vu une tumeur. Un de mes oncles est mort d'une tumeur cérébrale il y a trois ans et la forme que j'ai vu sur le sol de l'infirmerie m'a fait penser à cette petite tâche sombre que j'ai observé sur les scanners à l'hôpital, quelques semaines avant le décès. 
Quand nous avons terminé le travail, Denoy m'a offert un verre de cognac. Réserve personnelle. Auto-médication. Puis nous avons discuté d'Orlando. Denoy l'a appelée par son prénom, Audrey. Il la connaissait mieux que quiconque. Elle lui a fait part de son désir de quitter le camp, avant même la fusillade. Elle était au courant pour le surnom dont je l'affublais Tissier et elle : les Enchaînés. ça ne l'a pas vraiment vexée, mais ça lui a fait prendre conscience qu'il y avait de la vérité là-dedans. C'est pour ça qu'elle voulait partir. Laisser Tissier pourrir dans son trou et fuir le plus loin possible. Vers le sud et vers la mer.

Vers le sud et vers la mer.

L'idée de vivre dans un camp, protégé par l'armée, m'a séduite, pendant un temps. Je crois toujours que je peux faire ma part pour aider la communauté.
Mais l'envie de partir, de reprendre la route, est revenue. Plus forte que jamais. 

Vers le sud et vers la mer.

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