Le docteur Denoy est venu me voir ce matin pour changer mon pansement. La blessure guérit vite mais il me faudra encore porter le bras en écharpe pendant une bonne dizaine de jours, peut-être moins si j'ai de la chance. En bavardant, il m'a demandé ce que je pensais des militaires qui nous protègent, et plus particulièrement le sergent-chef Verney. Je lui ai alors parlé du peu de sympathie que j'éprouve à son égard, pourquoi je pense que Verney est un sale con. Denoy s'est penché vers moi et m'a regardé droit dans les yeux et là, il m'a dit qu'il fallait que je me méfie de lui, que ce n'est pas seulement un sale con mais un type dangereux. Très dangereux. Piqué au vif, je lui ai demandé ce qui lui faisait dire ça. Il m'a confié une petite histoire, impossible à confirmer réellement. Lors de la débâcle ayant suivi les procédures d'évacuation d'Orléans, Verney aurait profité de la confusion pour abattre un autre soldat avec qui il avait eu plusieurs altercations. D'une balle dans la nuque, avant de le jeter à une horde de zombies. C'est un autre soldat, témoin de la scène, le 2ème classe Hunebelle, qui le lui a raconté. En pleurant et en lui faisant juré de ne pas le répéter, de ne pas l'ébruiter. C'est un serment que Denoy a déjà brisé cinq fois, mais pas avec n'importe qui.j'ose croire. L'histoire sonne vrai, mais en l'absence d'autres témoignages, ou de preuves ... Hunebelle a pu se tromper et mal interpréter ce qu'il a vu ce jour-là. Ce qui est totalement vrai (et vérifiable) en revanche, c'est que Verney a tenté sa chance avec presque toutes les femmes du camp en se montrant "agressif". Et les refus systématiques qu'il a essuyé lui seraient restés en travers de la gorge.
Le message est donc passé. Cinq sur cinq. Rester loin de Verney, ne pas baisser sa garde et se méfier. On avait bien besoin de ça.
Puisqu'on en était à parler des allumés de la cafetière avec qui nous partageons ce refuge, je lui ai posé LA question : qui est ce détenu qu'on ne voit jamais ? Denoy m'a donné son nom : Charles Tissier. Il ne m'en a pas dit plus sinon que faire un petit tour aux archives devrait satisfaire ma curiosité.
Un survivant du nom de Frédéric Dahan, venu de Paris comme moi, a décidé de mettre sur pied une bibliothèque pour le camp. Le capitaine Thibault lui a laissé une des pièces vides du bloc inachevé à disposition pour monter son projet. A chaque sortie, les soldats s'assurent de lui ramener de quoi faire. Hier, à défaut de nous avoir ramener de la compagnie ou des pizzas et des bières, il y avait au moins quatre cartons pleins pour Frédéric. Rien de surprenant à cela, les librairies n'ont pas été aussi pillées que les supermarchés ou les buralistes (ou même les banques). C'est un petit bonhomme très affairé à qui j'ai serré la main (une sacré poigne, mes doigts en souffrent encore) en entrant dans la "bibliothèque". Il a fabriqué deux étagères en récupérant du bois prévu pour terminer les travaux du bloc. L'idée que nous aurions peut-être à brûler ces étagères l'hiver prochain si nécessaire m'a brièvement traversé l'esprit (serons-nous tous encore en vie à ce moment là ? le générateur fonctionnera t-il encore ? les morts cesseront-ils de marcher aussi soudainement qu'ils se sont relevés il y a plus de deux mois ? ça fait beaucoup d'inconnues à résoudre ...). Il y a à peu près 400 ouvrages mais aussi et surtout des piles et des piles de journaux dans des cartons et des caisses (les plus anciens datant au maximum de 5 mois). Il était sur le point de m'exhiber avec fierté une collection de San Antonio quand je l'ai interrompu pour lui demander s'il avait un journal parlant de Charles Tissier. Déçu et le regard sombre, il m'a indiqué la caisse où je trouverais mon bonheur puis il a pris congé de moi "parce qu'il a vraiment beaucoup de travail".
Je n'ai pas eu à fouiner longtemps.
L'article était en première page du Centre Presse de décembre 2013. "Un enseignant suspecté de meurtres et de viols sur des mineures - La commune de Millau, sous le choc, s'interroge." Si ce que dit cet article est vrai, Tissier n'est pas qu'un pédophile. Il est bien pire. Il est fait état de la disparition de six petites filles âgées de 6 à 10 ans et du meurtre et du viol "sauvage" de trois autres fillettes. Respectant la présomption d'innocence, le journal parle tout de même de "preuves accablantes" ayant mené à une arrestation immédiate. Une photo (de piètre qualité car mal cadrée) montre Tissier, le visage caché par une veste, menottes aux poings. Une policière le tient fermement par le bras, sans doute la même qui joue à l'ermite en campant nuit et jour devant l'une des cellules du camp, à qui on apporte des repas et qui n'a adressé la parole à personne sinon le capitaine Thibault depuis son arrivée au camp. Le reste de l'article est assez évasif. Tissier connaissait ses victimes mais avait jusque là une réputation irréprochable, insoupçonnable. J'ai pu gratter deux bonnes infos supplémentaires : la policière s'appelle le lieutenant Audrey Orlando et la photo de permis de conduire de Charles Tissier, un homme indéniablement séduisant mais au regard ... étrange, à défaut d'un meilleur adjectif.
Pourquoi le lieutenant Orlando s'est-elle pointée au camp avec son principal suspect après avoir erré dehors pendant je ne sais combien de temps ? Pourquoi ne pas s'en être débarrassé si il est vraiment le monstre que décrit ce journal ?
J'en parlerai à Carole mais aussi à Jonathan. Je suis sans doute trop curieux mais je m'en fous. Si ce type est un danger pour nous tous, hors de question qu'il reste là. J'ai plus de chances de survivre ici qu'à l'extérieur. Je refuse qu'un meurtrier pédophile soit le grain de sable qui foute tout en l'air.
Je pense aussi au fait qu'il y a des enfants dans le camp.Le fils de Christine. Et deux autres, les petits-enfants (frère et soeur, 8 et 12 ans) d'un vieux monsieur qui reste tout le temps à l'écart, monsieur Tahiri (71 ans). Sans compter le bébé à venir. Eux non plus n'ont pas besoin de vivre à côté de ça.
Lorsque nous serons sûrs et certains, à 100%, que Charles Tissier est un meurtrier, il devra sortir du camp. Si le capitaine ne s'y résout pas, nous devrons prendre les choses en main.
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