Mr Issane Tahiri est mort dans la nuit, ou au petit matin. D'une crise cardiaque. C'est son petit fils, Mohammed, qui l'a découvert au réveil. Avec sa soeur Jamila, ils sont désormais orphelins. Florence et Anthony Ballantini ont accepté la lourde responsabilité de s'occuper d'eux à partir de maintenant.
Nous avons eu de la chance que la mort soit suffisamment récente : le cadavre n'était pas encore réanimé. Alexis a fait sortir les enfants et Babacar s'est "occupé" de lui d'un seul coup de hache bien placé.
C'est toujours un luxe de mourir dans son sommeil, je pense. Pas par balles ou dévoré. Je n'ai jamais parlé à Mr Tahiri. Presque personne ne lui a parlé en fait depuis son arrivée au camp. Il restait dans son coin, surveillant ses petits-enfants, fumant de temps en temps et lisant le Coran. Je l'ai vu prier à plusieurs reprises.
Nous l'avons enterré en fin d'après-midi, au coucher du soleil. Tout les hommes du camp étaient présents, sauf Tissier bien sûr (avec Orlando, je n'ai pas pu m'empêcher de les surnommer "Les Enchaînés"). Les militaires ont reportés leur sortie habituelle à demain pour assister à la cérémonie. Il n'y avait pas de testament mais Babacar et Kader ont supposé que le vieux monsieur aurait désiré un enterrement religieux,respectueux des rites musulmans. Malgré la précipitation et les circonstances exceptionnelles, ils ont fait ce qu'il fallait, comme il fallait. Le petit Mohammed n'a pas pleuré.
Le camp a vécu toute cette journée au ralenti. Plus personne ici ne s'attendait à une morts naturelle. Combien de temps resterons-nous dans ce camp ? Un mois ? Un an ? Nous aurons bientôt une naissance. Certains parlent de créer un potager et d'aménager un enclos pour du bétail, si la nourriture venait à manquer. La civilisation reprend ses droits, en vase clos.
Nous vivons tous comme des réfugiés pour le moment. Nous laissons le capitaine Thibault et ses hommes gérer la situation pour nous et prendre les grandes décisions. Mais peut-être que cela va changer. Peut-être que quelqu'un voudra mettre en place un comité ou un truc de ce genre, s'organiser et se créer une nouvelle routine. Y aura t-il des élections ? Cette dernière pensée me fait marrer. Avec le temps, je suis certain que nous y arriverons.
Pour ma part, je ne veux pas de cette routine là. Je veux choisir la mienne. J'ai fait savoir à Thibault que je m'entraînerais au tir dès que possible et que je les accompagnerais à l'extérieur à chacune de leurs sorties. Je ne m'engage pas vraiment dans l'armée. Ou peut-être bien que si. Je ne sais pas encore.
J'ai parlé de tout ça à Carole. Elle n'a rien répondu. Elle s'est contenté de me prendre la main et elle m'a embrassé. C'était agréable mais je ne lui ai pas rendu son baiser. Je lui ai dit que je ne pouvais pas. Et c'est vrai, je ne peux pas. Je suis mieux seul.
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