samedi 16 avril 2011

LE SURVIVANT - 16 AVRIL 2014

Le vent s'est mis à souffler très fort aujourd'hui, un vent nauséabond charriant par rafales de 100 km/h la puanteur des charognes ambulantes qui, inlassablement, s'amassent tout autour du camp. J'ai passé la majorité de la journée à lire les journaux entassés dans notre bibliothèque, en compagnie de Carole. Pour nous documenter sur Tissier bien entendu, mais pas seulement.
Ma seule sortie de la journée, très brève, à consisté à apporter un thermos de soupe au soldat Deschain qui est de nouveau de corvée de surveillance sur le chemin de ronde. C'est presque un job à plein temps pour lui. Mais la vue et l'odeur des morts-vivants ne semblent pas le gêner outre-mesure. Ce type est un roc. Alors que le vent soufflait de plus en plus fort, nous avons pu assisté à un spectacle insolite. Les morts-vivants, balayés par les rafales de vent, jetés à terre. Certains sont parvenus à se relever, d'autres ont semblé bien trop faibles pour ça. Une évidence m'est alors apparue : les morts-vivants continuent de se décomposer. Le processus est ralenti par le virus (ou quoi que ce soit d'autre qui les a ramenés à la vie), mais il n'est pas stoppé. Je me suis souvenu d'un article paru quelques jours seulement avant que les grands médias ne rendent les armes. 
J'ai retrouvé l'article en question, ainsi qu'une dizaine d'autres dans un des cartons de la bibliothèque. Comment fonctionne les morts-vivants ? C'est le thème commun de ces articles. Ils sont lents, leurs tissus (muscles, peau, cartilage, etc ...) sont nécrosés, endommagés. Plus le cadavre est frais, plus il bouge facilement. Et la décomposition, comme tous les scientifiques et médecins ont pu l'observer, se poursuit. La nourriture qu'ils ingèrent (nous) ne changent en rien la donne. Un autre article fait remarquer que beaucoup d'entre eux mangent de la chair humaine alors qu'il leur est impossible de la digérer, tout simplement parce qu'ils n'ont plus d'intestins. Enfin, dans un dernier article, un scientifique canadien donne un nom au phénomène zombie : The Lazarus Effect (traduit par ... le Phénomène Lazare). Un nom timidement repris par certains médias. En plein apocalypse, on ne plaisante pas avec la religion apparemment. 
Quoi qu'il en soit, tous ça m'amène à penser que les morts-vivants ne se baladeront pas éternellement. Eux aussi ont une date de péremption. Optimisme sérieusement tempéré par le fait que chaque personne venant à décéder, par morsure ou de cause naturelle, s'en ira grossir leurs rangs. Si on ferme les vannes, on pourra renverser la situation. Mais pour ça, il faut que tout le monde s'entende et là, ... ben on est baisés.

Pendant que je me replongeai dans ces articles, pleins de questions mais radins niveau réponses (à quoi est-ce que je m'attendais ? une illumination soudaine ?), Carole a fait quelques progrès concernant ce que nous appelons déjà "l'affaire Tissier" entre nous. Trois autres articles (dont un dans les colonnes du Parisien) commentent son arrestation et l'enquête alors en cours. Si Charles Tissier n'a jamais avoué de crimes, se murant dans un silence frustrant à peine brisé par une lettre de condoléances adressée via son avocat aux familles des victimes. Une lettre dans laquelle il clame son innocence et se dit "convaincu que ces petits anges sont maintenant à la droite de Dieu" et que "s'il avait su que les petite étaient en danger, il aurait donné sa vie pour éviter cette tragédie". Les preuves ayant menées à son arrestation se résument à une caisse de vêtements tâchés de sang appartenant à quatre disparues  et retrouvée dans le coffre de sa voiture. Sa voiture avait été volée par des braqueurs et avait servie de véhicule bélier dans une attaque de bijouterie. Pas de bol pour Tissier. D'autres preuves ont été trouvées à son domicile après l'arrestation, d'autre vêtements, des effets personnels et surtout des "restes", des découvertes macabres que le journaux ont préférés ne pas détailler. Il semblerait donc qu'il ne manquait plus qu'un procès et quelques délibérations rapides pour envoyer Charles Tissier croupir dans une cellule à perpétuité. Seul problème : les journaux font état d'alibis en apparence solides pour au moins deux meurtres, que certains emplois du temps ne sont pas en faveur de l'accusation et que le profil psychiatrique de Tissier n'est pas concluant. 

Notre enquête ne pourra pas aller plus loin sans que nous puissions rencontrer le lieutenant Orlando pour qu'elle réponde à nos questions. C'est un petit comité constitué de Carole, Kader, Jonathan, Christine et moi-même qui s'est rendu dans le bureau du capitaine Thibault pour lui demander l'autorisation. Nous lui avons expliqué nos craintes. Thibault les partagent mais il nous a avoué ne pas en savoir vraiment plus que nous. Orlando a insisté sur la dangerosité de Tissier et la nécessité de le garder enfermé et sous surveillance. Rien d'autres. Pas de détails. Pas de plaidoyers pour une condamnation et une exécution. Le capitaine Thibault nous a néanmoins accordé ceci : il ira voir le lieutenant Orlando en notre nom pour qu'elle consente à dire tout ce qu'elle sait sur Charles Tissier. Je remercie Kader d'avoir trouvé les mots justes pour convaincre le capitaine. 
En sortant, j'ai parlé à Jonathan. Je lui ai parlé de mes intentions en cas de culpabilité indiscutable de Charles Tissier. Il m'a répondu que c'était exagéré. Qu'enfermé, il ne pouvait pas faire de mal et que nous ne pouvions pas nous rabaisser à son niveau, surtout maintenant alors que la société part en sucette. Justement, je ne le lui ai pas dit, mais je crois bien que nous n'aurons sans doute jamais de meilleures occasions pour que justice soit faîte. Vous m'auriez demandé mon avis il y a quatre mois, je vous aurais soutenu le contraire parce que le monde ne fonctionne pas comme ça. Mais le monde a bien changé depuis, et moi avec. J'ai changé à un point tel que si je m'arrête pour y réfléchir, ça me fout les jetons. 

Je repense à Sandrine, cette folle que j'ai laissé se faire dévorée par sa famille de morts-vivants. J'y repense, toujours sans l'ombre d'un remord. Ce que j'ai fait n'est pas Bien. Mais c'était Juste. Que penserait Elisa si je lui racontais cette histoire ? 



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