Ce n'est pas parce que l'on passe son temps à envisager le pire que l'on se retrouve moins surpris lorsque celui-ci arrive. Les évènements de ces douze dernières heures, un cauchemar dont j'espère encore pouvoir me réveiller, sont venus me le rappeler.
Le camp s'est réveillé bien plus tôt prévu. Mais c'était pour une bonne cause, après tout. Florence Ballantini, enceinte jusqu'aux yeux, a perdu les eaux un peu avant l'aube et les premières contractions ont suivi aussitôt. Nous l'avons laissé aux bons soins du docteur Denoy et de son infirmière et avons quitté le camp à l'heure prévue, en nous promettant de ne pas tarder pour revenir au plus vite afin de fêter cette naissance. Je ne suis toujours pas impatient d'être réveillé en pleine nuit par les pleurs d'un enfant en bas âge, mais une naissance reste une bonne nouvelle. Par les temps qui courent, c'est mieux qu'un coup de pied au cul.
J"aimerais pouvoir dire que nous sommes tous revenus pour admirer le nouveau né et lever nos verres à la santé des heureux parents. Mais ce serait vous mentir.
Le blindé et les deux camions (un camion supplémentaire pour le bétail,), ont franchis les grilles du camp en direction de la fumée noire, toujours aussi visible malgré une matinée brumeuse. Thibault, le caporal Salia et le soldat Pinal dans le blindé (en tête), le sergent-chef Verney et les soldats Duroche et Moreau dans le premier camion (milieu du convoi) et le caporal Larivière, notre chaperon, avec Jonathan, Carole et moi-même dans le deuxième camion (en queue de convoi). Tous armés, organisés, préparés.
La fumée noire provenait d'une gigantesque pile de pneus à laquelle avait été ajoutées quelques palettes de bois pour faire bonne mesure, sur un parking quasiment désert. Il n'y avait qu'une dizaine de zombies dans les parages, six voitures abandonnées et rien d'autres. Plus aucune voiture n'avait ses pneus. Une caravane blanche était rattachée à l'une de ces voitures. Sur le flanc de la caravane avait été peint en grandes lettres vertes le message suivant : SURVIVANTS ! NOUS AVONS FAIM ! AIDEZ NOUS ! La première chose que je me suis dit, c'est que les occupants du véhicule, en fuite comme tant d'autres, avait fini par échouer ici, à court d'essence, et qu'ils avaient allumés ce feu pour attirer un éventuel bon samaritain. Sur ce dernier point, je ne me suis pas trompé au moins. Pour le reste, c'était un piège et nous sommes tombés dans le panneau si facilement.
Pour éviter de rameuter d'autres cadavres ambulants, le capitaine Thibault et le soldat Pinal sont descendus du blindé pour examiner la caravane. Fusil au poing, Thibault est resté en retrait, couvrant Pinal depuis l'avant du blindé. Je ne peux pas m'ôter de l'esprit le silence absolu de ces quelques instants. Le calme avant la tempête. Pinal a frappé à la porte du caravane. Il s'est identifié et a demandé aux occupants de sortir, promettant sécurité, hébergement et nourriture. Personne n'a répondu. Il a saisi la poignée et ouvert la porte. Tout s'est passé très vite ensuite. Un zombie lui est tombé dessus, suivi de deux autres. Il n'a même pas eu le temps de vider un chargeur ou de crier. La mâchoire pourrie du mort-vivant s'est refermée sur sa gorge, et une autre est venue lui prendre son oreille. Thibault a ouvert le feu immédiatement, tuant sans attendre les trois zombies sur le point de festoyer. Pinal était agonisant, bientôt mort, bientôt zombie. Thibault s'est approché et l'a achevé pour couper court au processus.
C'est alors que le vrai merdier s'est abattu sur nous. Des rafales de mitrailleuses, venant de tous les côtés. Ne nous laissant pas la moindre chance de nous défendre. Thibault s'est effondré, touché à de multiples reprises, baignant dans son propre sang. Insensible aux tirs, le blindé a démarré, tentant dans sa manœuvre d'apporter à nos camions un semblant de couverture mais bien trop tard. Dans le camion devant nous, Duroche et Moreau, criblés de balles, se sont effondrés sous une pluie de verre. Verney s'est extirpé de la cabine, tirant pour se protéger du mieux possible. Une balle lui a traversé le mollet, le clouant au sol. Puis ce fut notre tour. Le caporal Larivière a engagé la marche arrière. Sa tête a explosé sous l'impact du feu nourri, nous éclaboussant de sang, d'os et de cervelles. Jonathan a ouvert la porte, tirant Carole avec lui en se jetant à terre. Dans le vacarme, il m'a crié quelque chose, difficile de dire quoi. Sûrement de le suivre. Je me suis jeté à mon tour hors du camion, des éclats de verre me lacérant les mains et le visage. J'ai atterri sur mon cul, laissant mon arme sur le siège du passager. Jonathan s'était déjà relevé pour riposter, mais pas pour longtemps. Il est mort à son tour, fauché par une nouvelle rafale. Carole était toujours au sol, aussi pétrifiée que moi. J'ai juste eu le réflexe de me saisir de l'arme de Jonathan. J'ai pris la main de Carole et nous nous sommes glissés sous le camion. Puis j'ai vu Verney se traîner jusqu'au blindé. La trappe latérale s'est ouverte et une main est venu l'aider à se hisser à bord mais pas avant qu'une autre balle ne vienne lui fracasser le poignet. Je l'ai entendu crier. Il s'est retourné vers moi. Nos regards se sont croisés. Puis il a disparu à l'intérieur du blindé et la trappe s'est refermé. Ils ont démarré en trombe, nous abandonnant. Carole a hurlé mais ça n'a rien changé. Les tirs se sont poursuivis quelques instants, arrosant le blindé, ricochant sur ses parois dans un festival d'étincelles. Le blindé s'est éloigné et à finit par disparaître. Les tirs se sont arrêtés aussi vite qu'ils avaient débuté. Nous étions seuls à présent. Seuls sous ce putain de camion. Seuls pendant ce qui m'a paru être une éternité.
Des rires se sont alors fait entendre. Trois individus au crâne rasé sont sortis de leurs cachettes respectives, lourdement armés. Ils ne nous avaient heureusement pas encore vus, pensais-je. Et dans le chaos de la fusillade, les cris de Carole avaient dû passer inaperçus. Je l'espérais sincèrement. Une fois de plus j'avais tort. "Sortez de là-dessous mes mignons ! On sait que vous êtes là ! Vos enculés de petits copains vous ont laissé crever comme des chiens ! Lâchez vos armes, sortez et on ne vous fera rien ! Promis !" Impossible de croire ces fils de putes. Nous n'avons pas bougés. Et ils ont à nouveau ouvert le feu, pour nous déloger. Les tirs ont percé le réservoir. En quelques secondes, nous baignions dans l'essence. "Dernier avertissement mes jolis ! Sortez ou on vous fait cramer les fesses !" Nous nous sommes traîner de dessous le camion. L'un des membres du trio a tiré dans les morts-vivants qui commençaient à s'approcher un peu trop. Un autre, le chef sans doute, est venu vers moi. "Bon chienchien." Et puis un grand coup de crosse dans la gueule. J'ai entendu Carole crier puis plus rien, le noir complet.
Pendant combien de temps ? Quelques heures, au moins.
Ils nous avaient traînés dans un sous-bois.
Ce sont les hurlements de Carole qui m'ont réveillés. Mais pas seulement. Il y avait aussi ce liquide chaud et puant qui m'aspergeait le visage, brûlant chacune de mes nombreuses plaies. L'enfoiré qui m'avait envoyé au tapis me pissait dessus. Les deux autres s'occupaient de Carole. L'un la tenait. L'autre la violait à même le sol. Ils souriaient tous les trois. Comme de gros connards dégénérés. La vessie soulagée, le chef a remonté sa braguette et s'est dirigé vers Carole. Il lui a décoché un grand coup de pied dans les côtes. Je les ai entendu craquer. D'autres hurlements. D'autres rires gras.
J'étais assis, appuyé contre un tronc d'arbre, les mains et les chevilles liés. Mon seul avantage, c'est que mes mains n'étaient pas dans mon dos mais devant moi. Il y avait ce stylo dans ma poche, mon vieux stylo plume avec lequel j'ai noirci pas mal de pages. Trop occupés à "s'amuser" avec Carole, ils ne m'ont pas vu le prendre, dévisser le bouchon et le cacher dans la paume de mes mains. Et puis le chef s'est à nouveau approché. Très très près. Une haleine de chiotte, mélange de bières bon marché et de tabac froid. Je n'ai pas hésité. Pas le choix. Je lui planté mon stylo dans l'œil, l'enfonçant le plus loin possible, le tournant brutalement dans la plaie béante d'un coup de poignet. Ce porc s'est effondré. Il avait une arme à la main. Mon arme. J'ai lâché le stylo, j'ai récupéré l'arme et j'ai ouvert le feu. Je les ai tué tous les deux. L'un des deux avait ouvert pour la bouche pour dire quelque chose. "On voulait seulement ...". Il n'a pas eu le temps de terminer.
Carole s'est relevée, péniblement et s'est rhabillée. Elle est venu me détacher. Puis elle s'est effondré dans mes bras, pleurant à s'en faire exploser le cœur. Il y avait des traces de chaussures sur ses doigts enflés. Ils en avaient quelques uns. Probablement leur concept des préliminaires. Et les zombies se sont pointés. Attirés par les cris, les coups de feu et la viande encore fumante gisant à terre. Nous avons fui et les avons laissé manger en paix. Ils nous ont à peine remarqué et ils ne nous ont pas suivi.
Nous sommes retournés sur le parking. Les deux camions à l'arrêt étaient encore là, le notre dans une grande flaque d'essence. Le feu qui nous avait attiré ici en premier lieu avait été éteint. Les cadavres laissés là.
Nous avons récupérés nos sacs, bien plus légers que lors de notre départ ce matin. J'ai essayé de faire démarrer l'autre camion, mais en vain. Le moteur n'a pas été épargné par la fusillade. Ce n'était pas les véhicules qu'ils voulaient. Ils ont pris nos armes, les quelques médicaments que nous transportions (pour les premiers soins) et notre eau.
Nous avons trouvé un abri pour passer la nuit, des toilettes publiques sur le bord de la route. Mieux que rien. Carole est dans un sale état mais je ne suis pas médecin. Nous rentrerons au camp demain, si nous y arrivons. Et Denoy pourra la soigner. Après ça, j'irais trouver Verney et je le tuerais.