La nuit a été calme et silencieuse et, au lever du jour, le soleil s'est assombri et un orage terrible a éclaté. Pourtant, pas de cris d'enfants terrifiés par l'orage. A vrai dire, pas de bruits d'enfants du tout. Depuis la fenêtre de ma chambre, je regardais les trombes d'eau s'abattre autour sur la vallée lorsque Paul est venu me rendre visite.
" Je ne pourrai peut-être pas vous proposer de visite des lieux aujourd'hui, mais si vous avez des questions à me poser alors nous pourrons parler. Suivez dans le grand salon. J'ai fait du café et il y a un bon feu dans la cheminée."
Inquiet de la nature de la discussion à venir, je lui ai demandé où se trouvaient les enfants.
"Ils sont dans l'autre bâtiment. Le gîte est coupé en deux. Dans l'autre bâtiment, il y a une grande cuisine et les dortoirs. Les enfants s'y amusent seuls pour le moment. Mais tous ne sont pas réveillés."
Toujours cette étrange façon de parler. Comme si j'avais un livre en face de moi. Il m'a souri, a quitté la chambre et je l'ai rejoint dans le salon. En fait de feu, il ne s'agissait que d'une seule minable bûche brûlant faiblement. Et le café était plus que discutable. Mais bon. Je suis passé aux questions. Et j'ai commencé par la question qui fâche. Rachel et sa grossesse. Au passage, j'en ai profité pour le mettre en garde contre l'allaitement du bébé une fois que celui serait venu au monde. Je n'ai pas oublié ce qu'il s'est passé au camp.
"L'année dernière, je me suis mis à penser, après avoir enterré l'un des enfants morts de maladie à la survie de ... de notre espèce. De l'homme. Je me suis dit qu'il faudrait faire des bébés au plus vite. J'en ai parlé à Rachel parce qu'elle était la plus âgée des filles. Et elle a accepté."
12 ans, bordel ! 12 ans, ce n'est pas un âge pour avoir des rapports et faire des gosses. On est plus au Moyen-Âge. Ne pouvaient-ils pas attendre, ou bien leurs hormones les travaillaient-ils à ce point-là ?
"Je me suis dit que nous n'avions plus le temps. Pour ce qui est le morale et de nos hormones, Mr Barillet, si le Moyen-Âge n'existe plus, c'est aussi le cas pour notre civilisation. Je n'ai pas forcé Rachel si vous voulez tout savoir."
Et pourquoi l'avoir épousé ?
"Je me suis dit que cela permettrait d'officialiser la chose. De la rendre un peu plus convenable aux yeux des autres enfants."
Et comment avait-il expliqué la chose aux autres enfants, justement ?
"Je leur ai dit que si nous ne faisions pas de bébés très vite, nous risquions de devenir tristes et de disparaître. Je leur ai dit aussi qu'ils devraient faire comme moi et Rachel dès qu'ils seraient dans l'âge possible."
J'ai bien failli renverser ma tasse. Encourager des gamins à se reproduire aussitôt entrés dans l'adolescence !!! Même si j'ai commencé à vite comprendre le raisonnement de Paul, je ne suis pas prêt de l'accepter ... juste comme ça. J'ai alors répété à Paul ce qu'il avait sûrement dû déjà comprendre en lisant mon journal, qu'un bouleversement bien plus important et dangereux que les morts-vivants est sur le point de se produire et que je doute que sa petite communauté y survive.
"Je suis au courant. Je sais ce que vous croyez qu'il va se passer. Mais je ne suis pas obligé de vous croire sur parole."
"Alors pourquoi pressez-vous le pas pour que les enfants deviennent adultes et que des enfants viennent au monde ? C'est pas très cohérent tout ça. Je crois qu'au fond de vous, comme moi, vous êtes persuadé que la fin, quelle qu'elle soit, est proche."
Pour la première fois depuis le début de l'entretien, je l'ai vu flancher. Oui, Paul sait que je ne suis pas fou. Il n'a pas de visions, ni de missions, mais il "ressent" ce qui se passe. Le changement est dans l'air. On ne peut pas mettre un nom dessus, mais on ne peut pas non plus le nier.
"Admettons ... mais je dois tout tenter. Je ne veux pas que les enfants disparaissent. Je l'ai promis à mon père. Nous survivrons et il y aura toujours des enfants dans la vallée. Le plus tôt sera le mieux."
"Comment est mort votre père ?" lui demandai-je.
"Un mort-vivant l'a mordu. Mais il ne me l'a pas dit. Il s'est transformé et a eu le temps de dévorer un enfant. Je n'ai pas eu d'autres choix que de le tuer."
"Comment survivez-vous ici ?"
"Au début, le gîte a été rempli d'assez de nourritures pour qu'une trentaine d'enfants tiennent trois à quatre mois, en se rationnant. Nous sommes arrivés au bout de tout ça en deux mois à peine. Il y avait deux chiens et un chat dans le gîte. Nous les avons tué et mangé. Certains enfants ont dit non tout d'abord. Puis la faim a eu raison d'eux. Mais ça n'était pas suffisant. Alors nous avons fait des sorties pour fouiller les maisons de la vallée. Et nous avons ramené de quoi survivre pendant un temps. Mais ça n'a toujours pas suffi. J'ai commencé à faire pousser des légumes sans trop savoir vraiment comment m'y prendre. Et comme ça prenait trop de temps, nous sommes descendus jusqu'à Castellane. Trois enfants sont morts dans cette expédition mais nous sommes revenus avec des vivres. Assez pour un mois supplémentaire. Avant que le potager ne donne des légumes, d'autres enfants sont morts de faim. L'eau du puits, des champignons et quelques racines nous ont permis de terminer la première année. Nous avons appris à la dure. Nous avons pu varier la production du potager après la première récolte et nous avons fait de nouvelles expéditions pour ramener des animaux. Nous avons un enclos à présent, à trois cent mètres d'ici. Ces quatre derniers mois ont été plutôt bons. Quant au café, si vous vous posez la question, il faisait partie des seules choses que nous ne nous étions pas résolus à consommer avant votre arrivée. J'espère qu'il est à votre goût."
Non. Il est infâme en fait. Mais j'ai gardé cette remarque pour moi.
Une autre question, la dernière. Qu'attendent-ils de moi ?
"Nous aimerions que vous restiez parmi nous. Un adulte est toujours utile. Nous savons nous défendre, mais vous pouvez nous apprendre des choses utiles."
Est-ce que Paul me laisse le choix ?
"Oui. Bien sûr. Je sais que vous avez à faire ailleurs. Mais je crois que vous allez changer d'avis."
J'ai plongé mon regard dans le sien et j'y ai vu ce que je redoutai le plus. Une ombre de folie. Et cette ombre s'est abattue sur la montagne et toute cette vallée. Dès demain, il me faudra partit et ne surtout pas me retourner. J'espère n'avoir à blesser personne s'ils tentent de me retenir.
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