mardi 28 juin 2011

LE SURVIVANT - ??? 2016 "La Dernière Route" 3ème partie (épisode #94)

L’horizon, qui n’était que montagnes et vallées profondes, s’ouvre enfin sur la mer. Depuis les hauteurs, le bleu auquel je m’attendais n’est pas apparu. Rien que du gris. La mer est un corps sans vie, un de plus. Froid, inhospitalier.  Je serais à Grasse avant la fin de l’après-midi et il s’agit de la dernière étape importante avant d’arriver à destination. Je doute que la vue d’une ville, autrefois considérée comme belle, et agréable, la capitale des parfums, et aujourd’hui transformée en cimetière à ciel ouvert, abandonnée et probablement déjà oubliée, ait quoi que ce soit de réconfortant. Mais peu importe. Le réconfort, j’ai fait une croix dessus. 
 
J’ai connu des types qui se baladaient avec une liste de toutes ces choses qu’ils aimeraient faire avant de mourir. Sauter en parachute, voir le grand canyon ou bien des activités un peu plus triviales du genre sauter une prostituée ou se prendre un rail de coke. De nos jours, ce type de liste fonctionne à l’envers. On renonce à tous les petits plaisirs d’avant, juste pour se sentir un peu moins triste. Un ciel étoilé, une brise qui ne charrie pas trop la puanteur des cadavres en décomposition et un repas dont la date d’expiration prouve qu’il est encore comestible, voilà qui suffit à rendre un homme heureux par les temps qui courent.  
 
Jusqu’aux portes de Grasse, la route ne cesse de descendre et de serpenter. Certains endroits et tournants ouvrent sur des ravins qui, la nuit tombée, doivent de remarquables pièges à cons. Le soleil n’est pas le seul à dépérir derrière ce que j’appelle le Grand Voile. La végétation souffre et disparaît petit à petit. Comme sous l’effet d’une pollution accélérée. Les fleurs noircissent et les pins s’affaissent, lâchés par des racines pourrissantes.  
 
Toujours plus de cadavres. Secs comme des momies. Un de ces zombies m’a même fait pitié. Refusant de retourner au néant, toujours animé par la faim, la créature était étendue sur le sol, gémissant faiblement, les yeux fixés vers le ciel, tentant de remuer les lèvres. Je me suis approché de lui et il a tendu sa main vers moi. Suppliant que je lui offre mon aide sous la forme d’un repas. Un dernier repas constitué de mon bras et de ma jambe. Un dernier repas pour le ramener à sa vigueur d’antan et lui permettre d’échapper à son sort d’esclave abandonné. Je me suis agenouillé et je l’ai regardé droit dans les yeux. Mon regard plein de vie plongé dans ses pitoyables yeux rongés par une cataracte jaunâtre. Il y avait un homme autrefois à la place de ce zombie. Un homme fort, avec une volonté sans faille. Homme tenace, zombie tenace. Avec un peu d’imagination, je me suis dit qu’il était sans doute possible de reconstituer sa vie passée, ses rêves, ses tragédies. Un effort vain. Une perte de temps. Je me suis relevé rapidement et j’ai laissé cette chose à son sort.  
 
Par la suite, j’ai croisé d’autres zombies tentés par la résistance. Je n’y ai plus prêté aucune attention. Ils m’ont fait souffrir en prenant la vie de mes amis et j’ai eu ma revanche plus d’une fois. Si on veut penser à notre relation en ces termes, je dirais que nous sommes quittes. Mais ça ne m’oblige pas à les aimer pour autant. Qu’ils finissent par crever ainsi, incapables de bouger, n’est pas pour me déplaire.

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