vendredi 10 juin 2011

LE SURVIVANT - ??? 2016 "Un coin à l'ombre." (épisode #77)

Pas un seul nuage dans le ciel. Un soleil de plomb. Ma peau souffre le martyr. 

Ralentissant ma progression, je me suis trouvé un coin à l'ombre. Une station service à une dizaine de kilomètres de la petite ville de Cadenet. L'endroit semblait abandonné, mais ne l'était pas pour autant. Près des pompes depuis longtemps asséchées, je me suis trouvé une chaise. Je me suis assis, profitant de l'abri offert par la toiture en bon état. Assis au milieu des débris, j'ai attendu. Et un homme est venu à moi. 

"Holà ! Qui êtes-vous, étranger ?" s'écria une voix rocailleuse, avec un fort accent du sud. 

Je me suis levé d'un bond et j'ai dégainé. De derrière le bâtiment a surgi un homme sur un fauteuil roulant, avec un vieux fusil de chasse posé en travers sur ses genoux. Il était fin, torse nu, bronzé et crasseux et n'avait plus que des moignons à la place des jambes. 
Sans ranger mon arme, je l'ai néanmoins abaissé. 

"Je ne suis que de passage." lui ai-je répondu. 

"Et ça vous empêche de me donner votre nom ?" me lança t-il, toujours méfiant.

"Je n'ai plus de nom à vous donner. Quelqu'un d'autre est passé avant vous et me l'a pris."

Un ultime instant d'hésitation. Et l'homme partit d'un long fou rire.

"J'aime les gens qui ont de l'esprit. Vous fumerez bien une clope avec moi ? J'en ai plein, plus que je ne pourrai jamais en fumer. Et un verre de vin, ça vous dit ?".

J'ai accepté sa proposition. Je me suis rassis, j'ai rangé mon arme. L'homme est rentré dans la station service pour en ressortir quelques minutes plus tard avec une bouteille de vin, deux verres et un paquet de cigarettes. Il s'est placé à côté de moi et a posé la bouteille par terre, entre nous. Nous avons allumé nos cigarettes et avons fumé en silence, savourant chaque bouffée. Puis nous avons trinqué. 

"A quoi allons-nous trinquer, étranger ?" me demanda t-il, comme si la question semblait d'une importance capitale. 

Je n'ai pas été long à trouver la réponse. 

"Trinquons au temps. Sur la route ou à l'ombre, il est notre compagnon. Qu'on le veuille ou non ..."

Un nouveau fou rire. Deux verres qui s'entrechoquent. 

"Au temps !!!"

Puis nous avons parlé, longuement. De tout et de rien. Nous avons parlé jusqu'à la tombée de la nuit, avant que je ne reprenne la route. Nous avons vidé deux bouteilles et entamé la moitié d'un paquet. L'homme sans jambes m"a demandé où j'allais et je le lui ai dit. Il m'a demandé pourquoi et je le lui également dit.

"Alors comme ça, la fin est proche ? Il fallait bien que ça arrive un jour où l'autre." dit-il, sincèrement fataliste.

Je lui ai posé quelques questions à mon tour. Notamment sur les Fanatiques. Je lui ai demandé s'il en avait entendu parler et s'il les avait vu. Ce fut un grand oui dans les deux cas mais, après avoir craché au sol, il refusa d'en dire plus. Je n'ai pas insisté. 

Je suis reparti sans me retourner. Avec une certitude. Cet homme ne se suicidera pas. Il attendra la fin, un verre à la main, une cigarette au coin des lèvres. Une de mes "intrusions" me l'a fait ressentir. Un type comme je les aime.

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