J'ai beau être conscient de ne plus être le même Lucas qui, il y a de cela une éternité à présent, abandonna Paris aux flammes pour fuir la menace des morts-vivants. J'ai aimé, j'ai haï. J'ai souffert dans l'ignorance et j'ai fait mes adieux à un monde rationnel, noyé dans une lumière hantée par les morts et les prophéties. Tout ça, c'est de la roupie de sansonnet lorsque l'on doit affronter seul un lendemain de cuite. Après tout, je ne suis rien d'autre qu'un homme et certaines choses, heureusement ou malheureusement, ne changent pas.
Paralysé par une farandole de rires d'enfants, j'ai passé la nuit entière à fixer les étoiles et à boire comme si je fêtais à nouveau mes 18 ans. L'aube a eu raison de moi et j'ai dû m'endormir. Il était midi passé lorsque je me suis réveillé, pris de vertiges et d'un mal de crâne de compétition. Les rires d'enfants avaient disparus et la bouteille à mes pieds était vide. Je me suis levé avec autant de précaution que si je devais désamorcer une bombe et j'ai secrètement prié pour que mon métabolisme reprenne le dessus au plus vite. J'ai pris mes affaires et je me suis remis en marche, en m'efforçant de ne pas tituber. En réponse à mes prières, les vertiges sont très vite passés. Mais pas le mal de tête. A chaque pas, j'ai senti ma tête sur le point d'exploser. BOUM ! BOUM ! BOUM !
Tant bien que mal, je suis parvenu à quitter Castellane et à rejoindre la route. J'ai sans doute réussi à parcourir deux ou trois kilomètres avant que l'une de mes "intrusions" ne me terrasse, me forçant à mettre un genou à terre et à me prendre la tête dans les mains. L'image d'un mur blanc se recouvrant peu à peu de sang s'est imposé à moi avec une violence inouïe. J'ai fermé les yeux et j'ai entendu les "six autres" hurler à l'unisson. Lorsque j'ai pu rouvrir les yeux, un zombie maigre comme un clou s'approchait de moi avec un rictus avide, tendant son unique bras vers mon visage. Ce qui s'est passé ensuite a été incroyablement rapide. Une ombre s'est glissée derrière le zombie. J'ai entendu le bruit d'un couteau tranchant la chair et le zombie s'est effondré face à moi, toujours vivant. Nous étions nez à nez. Comme deux amoureux sur le point de s'embrasser. C'est là qu'est intervenu le deuxième coup de couteau. La lame a transpercé la tête de la créature et est ressortie par son œil droit. Puis, la créature s'est finalement écroulée, morte pour de bon, le couteau toujours planté dans le crâne. J'ai levé les yeux et j'ai vu mon sauveur, un enfant d'à peine dix ou onze ans, le regard calme et brillant de détermination, sa chemise bleue couvertes d'éclaboussures de sang.
Le reste, je ne m'en souviens pas. Je suis tombé dans les pommes et je me suis réveillé dans un lit confortable avec des draps propres, dans une chambre éclairée par une lampe à pétrole posée sur une table. C'est une pièce toute simple, mais fermée à clef. Les murs sont nus. Un lit, une table, une chaise. Posé dans un coin, mon sac et toutes mes affaires. Par la fenêtre donnant vers le sud, j'ai pu voir le jour se coucher.
D'autres rires d'enfants se sont fait entendre. Plus forts, plus proches.
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