Je mange et je bois peu, et je ne dors plus du tout. Ne plus avoir besoin de sommeil est une sensation étrange, unique. Je ressens toujours la fatigue, mais plus de la même façon. Il me suffit de m'asseoir et de respirer profondément pendant une dizaine de minutes et le tour est joué, je me sens frais et dispo. Et les rêves dans tout ça, me direz-vous ? Je rêve éveillé, en quelque sorte. Des images, des sensations, des souvenirs s'imposent à moi sans que je puisse le contrôler. J'appelle cela des "intrusions". Un panneau, un paysage, un cadavre; n'importe quoi peut les déclencher. Ce ne sont pas des flashes car les "intrusions" persistent pendant plusieurs dizaines de minutes. Je n'y trouve que peu de signification. Encore que je peux me tromper. Avec le temps, d'autres réponses viendront.
J'ai pu constaté un autre phénomène me concernant : lorsque je ferme les yeux, j'entends les voix des six autres et, seulement parfois, je ressens leurs émotions, je lis leurs pensées et je vois à travers eux. Comme moi, ils traversent des territoires désolés en se rapprochant toujours un peu plus de la mer. Nous obéissons tous à la même pulsion. Nous sommes conscients de notre rôle d'observateur. Un nouveau bouleversement majeur approche et il est de notre devoir d'y assister. Ceci est très clair. Voir, témoigner, mais sans jamais agir. Deux d'entre nous souffrent d'une effroyable frustration à cet égard. Ce n'est heureusement pas mon cas. J'ai passé toute ma vie à gamberger, à douter, à me poser des tonnes de questions. Je suis heureux que ce ne soit plus le cas aujourd'hui. J'accepte mon rôle sans que cela pèse sur ma conscience. Les forces qui sont en jeux me dépassent. Qui suis-je pour y opposer la moindre résistance ?
En m'éloignant des vestiges d'Arles et de Salon de Provence, j'ai traversé les Alpilles. Sans croiser âme qui vive. J'ai par contre découvert des traces du passage récent de ce qui ressemble à une armée. Déchets de repas abandonnés, restes de feux de camp, empreintes de pas nombreuses et rapprochées formant des colonnes ainsi que de sabots. Quant au dernier indice, il est indéniable : un mort-vivant pendu à un arbre avec ses entrailles répandus à ses pieds. Ainsi donc, les Fanatiques se sont aventurés jusqu'ici. A un certain point, les traces remontent à nouveau vers le nord. Ils se sont sans doute lancés à la poursuite d'une horde de morts-vivants. Grand bien leur fasse ! Ils y trouveront enfin la défaite et la mort. Et je n'ai pas de regrets de ne pas assister à ce spectacle là. Il n'est pas question que je me détourne de ma route pour ces sombres connards.
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