Ce n'est pas la première fois que je me retrouve emprisonné. Mon expérience m'a appris qu'il était toujours préférable d'attendre de connaître les intentions de ses geôliers avant de gaspiller son énergie à fuir. D'une part, ça évite les malentendus. Et d'autre part, des opportunités se présentent toujours pour ceux qui savent être patient.
Allongé dans mon lit, mon mal de tête complètement disparu, j'ai tendu l'oreille toute la nuit, étudiant chaque son avec une patience que je ne me soupçonnais même pas. Des rires d'enfants et toujours des rires d'enfants. Mais, au milieu de ces sons tous identiques, j'ai pu repérer une voix différente, plus âgée; J'ai compté treize voix différentes. Huit garçons, cinq filles.
Au petit matin, on s'est finalement décidé à me rendre une petite visite. Un garçon petit et maigre d'à peine onze ou douze ans, avec une tignasse de rouquin et la peau constellée de tâches de rousseur est venu m'apporter mon petit déjeuner. Il est entré dans la pièce en toute confiance mais sans m'adresser la parole. Temporairement rassuré, j'ai décidé de ne pas trahir cette confiance, j'ai mangé mon bol de céréales (où se sont-ils procurés le lait ?), j'ai bu mon café et j'ai salué et remercié le garçon en restant à ma place. Je n'ai eu qu'un sourire pour réponse puis, alors qu'il quittait la pièce, il m'a fait signe de le suivre de la main. Je me suis finalement levé et l'ai suivi en observant le silence.
La chambre dans laquelle j'ai passé la nuit se trouve donc à l'étage de ce qui semble être un gîte d'étape assez spacieux. Au même étage que le mien, j'ai compté six autres pièces. Je suis redescendu avec le garçon et les onze autres enfants et un adolescent m'attendait patiemment dans le grand salon du rez-de-chaussée. Sur tous les visages, je n'ai vu que des sourires.
L'adolescent, blond, bronzé, très beau, caricature instinctivement insupportable de gendre idéal, s'est alors adressé à moi d'une voix agréable :
"Bonjour, Mr Barillet. Bienvenue dans notre petite communauté. Je suis Paul, je suis âgé de 15 ans et voici les enfants. Vous sentez-vous mieux ?"
Comment connaît-il mon ? Je n'ai pas manqué de le lui demandé.
"J'ai pris la liberté de lire votre journal. J'ai trouvé vos ... théories, et votre périple, comment dire, aussi inhabituel que digne d'intérêt."
Je n'ai pas eu le temps de protester contre cette impolitesse que ce Paul a aussitôt tenu à s'expliquer.
"Je ne pouvais pas vous accueillir parmi nous sans me renseigner. Ce journal m'a paru la méthode la plus efficace sans avoir à passer par un entretien forcément pénible."
"Et vous avez quand même accepté de me garder ici sachant ... tout ce que j'ai pu faire ?" lui demandai-je.
"Oui. Vous avez fait ce qu'il fallait pour survivre. Vous avez vu des choses horribles et, malgré tout, vous êtes resté humain en fin de compte."
"J'ai cédé à la monstruosité, plus d'une fois." lui ai-je répondu.
"Peut-être. Mais vous en êtes toujours revenu. C'est encourageant."
Sans plus de cérémonie, il m'a ensuite présenté les enfants.
Rachel, 13 ans.
Cédric, le rouquin, 11 ans.
Katia, 11 ans.
Samuel, 7 ans.
Jennifer, 8 ans.
Laurence, 10 ans.
Marine, 12 ans.
Matthieu, 8 ans.
Anthony, 6 ans.
David, 9 ans.
Thierry, 10 ans.
Pascal, 11 ans.
Je lui ai alors demandé qui était vraiment ces enfants et d'où il venait.
"Ce sont les enfants des familles de la vallée. Ils m'ont été confié par mon père avant de mourir. Il était gendarme et c'était son idée de réunir tous les enfants ici pour les sauver de l'épidémie et des morts qui marchent. Nous étions plus nombreux à l'origine. Nous étions vingt-trois. Les autres enfants sont morts très tôt, il y a un peu plus d'un an. De faim, de maladie. Nous étions mal organisé alors. Aujourd'hui tout se passe mieux."
"Et les morts qui marchent ?"
"Nous n'en avons pas vu un seul depuis (il fit mine de compter), ... au moins dix mois. Jusqu'à ce que Pascal vous sauve la vie hier. Heureusement, nous n'oublions pas qu'ils sont toujours là et, comme tous ceux qui survivent de nos jours, nous sommes tous devenus très doués pour les détruire."
J'ai voulu poser une nouvelle question mais c'est alors que Paul a levé la main pour me signifier que l'entretien était terminé. Il a ensuite ajouté :
"Vous devez remonter dans votre chambre à présent. Nous parlerons bien plus longtemps demain et je vous ferais visiter les lieux. Rachel va vous raccompagner à l'étage."
Pourquoi m'a t-il à nouveau consigné dans ma chambre ? Voilà l'une des questions que je ne manquerai pas de lui poser demain, avant, je crois de prendre congé de l'endroit.
En remontant avec la jeune fille, brune, le teint pâle et de grands yeux tristes, je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer que son ventre semblait quelque peu arrondi. Elle a vu ce qui se cachait derrière mon regard etm'a fait cet aveu : "Je vais bientôt être maman. Dans cinq ou six mois. C'est l'enfant de Paul. Il est mon mari."
J'ai observé le jour grandir puis diminuer, seul dans ma chambre. Dans ma tête, j'ai dressé une liste de questions et Paul devra me répondre avec autre chose que son ton de premier de la classe et ses jolis mots.
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