Je me suis réveillé d’un long rêve qui a fait couler mes dernières larmes. Et une ombre s’est penchée sur moi. Cette ombre avait dû être un homme autrefois.
L’ombre s’est posé sur mon épaule et j’ai ressenti une profonde morsure. Le sang s’est mis à couler mais la douleur n’est arrivé qu’un peu plus tard. L’ombre s’est retiré de mon épaule et s’est aussitôt dissipée. En s’évanouissant, elle n’a produit qu’un faible son. Un soupir.
Avec la douleur est venue la fièvre. Une fièvre aussi brève que virulente. J’ai cru mourir mais c’est autre chose qui est arrivé. Le Grand Voile s’est abattu sur le monde, plus opaque que jamais, et la lumière du soleil a été réduite à une faible lueur diffuse. Le monde était prêt à sombrer.
Ni tristesse, ni joie. Mes émotions m’ont abandonnées. Je suis libéré de leur dictature.
Toutefois, je n’ai pas bougé. Je suis resté assis à entendre.
Des heures, des jours, des mois, des années.
Des heures, des jours, des mois, des années.
Mais le temps n’a plus la moindre emprise sur mon corps.
Je suis comme une statue, mais mon regard est vivant, avide, puissant.
Puis, la terre s’est mis à gronder. Et la mer, si calme, s’est mise à bouillonner.
Le lien qui m’unit aux six autres m’a renvoyé cette même image encore et encore. Un ciel sombre, totalement occulté et une mer agitée et bouillonnante.
Puis, le grondement a cessé.
Quelques infimes secondes d’un silence total.
Et une gigantesque colonne vivante et luisante, noire, entourée de silhouettes vaporeuses a émergé dans un grand fracas, projetant de grandes vagues. La colonne a continué de s’élever dans le ciel, jusqu’au moment où elle a commencé à s’incliner et à se plier. La colonne est devenu comme un bras cherchant à s’extirper de l’eau pour chercher une prise sur la terre ferme. A force de se plier ainsi, l’extrémité de la colonne a fini par s’abattre sur les collines a des kilomètres de là, détruisant toute la région sous la force de l’impact. Incapable de bouger, protégé des tourments infligés à la terre autour de moi, je n’ai pas pu détacher mon regard de la colonne vivante. A chaque seconde, elle m’a semblé gagner en force, puisant dans mon âme et dans mes yeux.
Il est temps.
A côté de moi, mon vieux journal maltraité et tâché, reçoit les mots que mon esprit tourmenté est encore en mesure de lui envoyer. Les lettres s’impriment d’elle-même. Et je me dis qu’il est temps de conclure. Ce qui faisait de moi un humain, un homme, s’échappe. La colonne vivante de la Race Oubliée me vide sans me tuer et me transforme en une chose que je ne sais pas définir correctement. Une statue, un miroir et un puits.
Mais je ne suis toujours pas mort.
Toujours pas mort.
Je suis le Survivant.